Augmentation des prélèvements ou réduction des dépenses
La grande inversion ?
Réduire les dépenses publiques…
Il s’agirait d’une fatalité française, une « préférence » pour l’augmentation perpétuelle des dépenses publiques et donc des prélèvements, plutôt qu’une réduction sur les deux registres. Dans un pays où en 2023 le taux de dépenses publiques sur PIB s’élève à 57 % et le taux de prélèvements à 43 %, cette pathologie française semble devenue chronique.
Les coupables supposés ? Les décideurs publics et leur « addiction », la haute administration, mais également les Français, toujours en demande d’Etat.
Pourtant, cette nouvelle livraison du Baromètre des Décideurs Viavoice– HEC Paris– BFM Business– L’Express révèle un tout autre paysage : 50 % des Décideurs préfèreraient pour l’avenir une réduction des « dépenses publiques », plutôt qu’une augmentation des « prélèvements obligatoires » (seulement 13 %) ; et de manière plus inattendue encore, les Français dans leur ensemble partagent cette aspiration (53 %, contre 13 %).
Que s’est-il passé ? À la lumière des tendances d’opinion enregistrées ces derniers mois, trois phénomènes se conjuguent notamment. Non que les Français soient soudain saisis d’une irrépressible culture libérale. En revanche :
- L’ampleur de la dette publique, sur laquelle le Premier ministre Michel Barnier a insisté et à partir de laquelle il a bâti son discours de politique générale, apparaît désormais majoritairement préoccupante pour l’opinion ;
- Le niveau atteint par les prélèvements, après une longue période d’inflation, apparaît de moins en moins soutenable et leur éventuelle augmentation bien souvent inacceptable ;
- La qualité et la performance des services publics laisse volontiers à désirer aux yeux des citoyens, où en termes « business » la « user experience » est jugée insatisfaisante dans un monde où la digitalisation améliore celle-ci de manière générale.
Concrètement en cette matière budgétaire, les orientations adoptées par le gouvernent Barnier ne suscitent pas d’enthousiasme, que ce soit :
- En termes de justice perçue : 76 % des Décideurs et 75 % des Français les jugent « inéquitables » ;
- En termes d’intérêt personnel : 69 % des Décideurs et 61 % des Français s’en estiment « perdants ».
Pour résumer, l’équation d’avenir (idéale) se situerait dans un chemin de réduction de la dépense publique à la fois équitable et préservant les intérêts du plus grand nombre, c’est-à-dire notamment des classes moyennes.
Climat économique singulièrement dégradé…
Ces aspirations se déploient alors que le climat économique se révèle particulièrement dégradé en ce mois de novembre. Si notre « indice synthétique » existant depuis 2004 n’est plus comparable terme à terme avecles résultats de la vague précédente (septembre) en raison d’une évolution de nos indicateurs, il apparaît que :
- Les anticipations en matière de « niveau de vie » sont désastreuses : 77 % (+5 points) des Décideurs anticipent une dégradation d’ici un an, ainsi que 76 % (+ 11 points…) des Français ;
- Les anticipations en matière de situations financières personnelles sont très détériorées, avec 56 % (+5 points) d’anticipations négatives aux yeux des Décideurs et 52 % (+3 auprès des Français).
Désormais, le « moral économique » paie le prix de la conjoncture, et notamment :
- La recrudescence du nombre de défaillances d’entreprises : 66 000 en un an(données Altares), consacrant une augmentation de près de 20 % en septembre ;
- Les plans sociaux et difficultés médiatisées de fleurons (Michelin, Auchan) et de secteurs (textile, BTP, industrie automobile…) ;
- L’élection de Donald Trump, avec notamment les risques de nouvelles barrières douanières pour les produits français et européens ;
- Les fragilités politiques françaises qui nourrissent un flou sur l’avenir des fiscalités.
IA : fenêtre d’opportunité et « nouvelles frontières »
Au registre des bonnes nouvelles d’avenir, l’IA s’établit désormais comme une source d’opportunités aux yeux d’une majorité de Décideurs (56 %) et de Français (56 % également).
Ces résultats sont d’une part suffisamment salutaires pour être soulignés, et d’autre part contrastent singulièrement avec les visions alarmistes, de Ray Kurzweil (The Singularity is near. When humans transcend biology, 2005) à Stephen Hawking, jusqu’à la « lettre ouverte » du 28 mars 2023, signée par un millier de personnalités.
Désormais, l’IA semble entrer dans les usages, notamment dans le contexte de la rapide démocratisation des IA génératives telles que Chat GPT.
En la matière, l’usage destitue, pour le moment, les imaginaires dystopiques. Au registre des préoccupations demeurent pour synthétiser, des préoccupations concernant les « nouvelles frontières » de l’humain et de l’IA. Les Français redoutent en priorité la « diminution des interactions humaines » (37 %), le remplacement des équipes « dans la production des tâches » (32 %), la « prise de décision qui échappe à l’intelligence humaine » (32 % également) et « la diminution de la créativité » (23 %).
Si l’IA ne nous destitue pas et apparaît majoritairement comme une source d’opportunités, elle appelle en revanche à penser ces nouvelles frontières desintelligences, que ce soit par des Chartes éthiques ou des IA dignes de confiances, mais également, bien plus opérationnellement, par de nouveaux « savoir-faire » de réinvention des rôles et des usages de chacune et de chacun en entreprise.
François Miquet-Marty et Adrien Broche, Viavoice