La NUPES, près d’un an après les élections législatives
Une marque installée, à l’épreuve de la crédibilité
Dimanche 19 juin 2022, la coalition rassemblant La France insoumise, le Parti communiste français, le Parti socialiste et Europe Ecologie les Verts remportait 151 sièges à l’Assemblée nationale. Fort du score de Jean-Luc Mélenchon à l’élection présidentielle qui avait rassemblé 21,95 % des voix au premier tour, la France insoumise allait donner le ton de la Nouvelle union populaire économique et sociale (NUPES).
A la fois première opposition numérique à la majorité présidentielle mais rassemblement de gauches aux positionnements parfois divergents, quel bilan l’opinion tire-t-elle de la première année de la NUPES dans l’opposition ? Quelle vision des défis et échéances électorales à venir ? Comment cette coalition a-t-elle vocation à évoluer ? Autant de questions que cette nouvelle édition du baromètre politique Viavoice – Libération entend creuser.
La « marque NUPES » : le bilan d’un succès, des divergences contenues
Premier enseignement de ce nouveau volet du baromètre politique Viavoice – Libération, la coalition NUPES formée il y a un an semble avoir réussi à s’installer comme une force politique majeure dans le pays. Du point de vue de sa notoriété et de son impact médiatique, la NUPES ne laisse personne inaperçu. De ce simple point de vue, le pari semble gagnant et l’alliance continue d’être soutenue par une majorité de sympathisants de la gauche, 68 % d’entre eux et plus d’un tiers de l’opinion (35 %) considérant que les partis qui la composent ont eu raison de s’allier au printemps dernier.
Sans faire le plein dans l’opinion, force est de constater que les divergences de fond – souvent pointées du doigt s’agissant de l’Europe, du rapport à la République ou à la politique étrangère – ont été contenues. C’est d’ailleurs davantage sur le rapport aux institutions et aux mœurs parlementaires que sur le fond des enjeux que les premières brèches ont été constatées, au cours des débats sur la réforme des retraites.
Ainsi, si 40 % des Français estiment que les points de désaccord au sein de la coalition sont supérieurs aux points de convergence, c’est 10 points de moins qu’au mois d’août 2022 (Baromètre politique Viavoice – Libération « Situation de la gauche »). A suivre avec attention néanmoins, une fraction mesurant entre 25 % et 35 % de sympathisants de gauche. Ceux-ci se montrent plus dubitatifs voire critiques envers la coalition et la convergence de ses composantes : un tiers des sympathisants de gauche estiment ainsi qu’un éclatement de la NUPES est préférable pour l’avenir des gauches en France et 30 % qu’il y a davantage d’idées et de valeurs qui séparent les composantes de la NUPES que d’idées et de valeurs qui les rassemblent.
Aidés par un climat économique et social qui place les enjeux sociaux au cœur des débats depuis plus d’une année, le pari de la NUPES semble globalement gagnant du point de vue de la cohésion de ses troupes. Mais c’est précisément pour les mêmes raisons que ce succès semble devoir être évalué avec exigence.
L’enjeu de la crédibilité : le fond et la forme
L’enquête menée par Viavoice pour Libération souligne un constat net : s’il y a un point noir que la NUPES n’est pas parvenue à amender depuis le mois de juin 2022, c’est bien la question de la crédibilité politique, d’autant que l’empreinte sociale qui structure les débats publics devait lui ouvrir une zone de confort politique dans laquelle elle peine à prendre ses aises. Seuls 10 % des Français estiment à ce titre que la coalition des gauches est sortie renforcée de la « séquence retraites » quand 35 % pensent le contraire : un constat éloquent concernant l’absence de prise politique sur des manifestations dont la réussite semble pourtant avoir été reconnue par l’ensemble de l’échiquier politique. Autre signal d’alerte, l’indice synthétique Viavoice – Libération de la crédibilité politique, mis en place à l’issue des élections législatives de l’année dernière, n’a placé la NUPES devant la majorité Ensemble qu’à une seule occasion, c’était au mois de février dernier.
Plus interpellant encore, l’absence d’affirmation d’une réponse crédible des gauches aux enjeux qui préoccupent le plus les Français : sur les cinq enjeux identifiés par l’opinion comme ceux sur lesquels le gouvernement et le Parlement doivent agir, la NUPES n’est considérée comme la force politique la plus crédible que sur l’un d’entre eux. C’est en effet sur la transition écologique que la coalition des gauches s’affirme comme premier mouvement politique de confiance (15 %). Et même ici, elle se révèle suivie de près par la majorité « Ensemble » (13 %) et le RN (11 %). Sur les 4 autres priorités identifiées, alors même qu’elles s’inscrivent dans son périmètre d’intervention traditionnel, la NUPES est devancée tour à tour par la majorité et l’extrême-droite : pouvoir d’achat, santé, emploi, et même éducation. Un constat déjà formulé en début de mandature et qui peine à évoluer. Résultat : seuls 19 % de l’opinion estiment de la NUPES qu’elle est la première force d’opposition à Emmanuel Macron à l’Assemblée nationale contre 33 % pour le Rassemblement national, pourtant nettement distancé par la gauche du point de vue strictement numérique du nombre de sièges.
La priorité est clairement identifiée : le tant discuté « acte 2 » de la NUPES, s’il a lieu, doit être placé sous le signe de la crédibilité. Celle-ci trouvera recette dans l’alliage fin du fond et de la forme qui s’aliment l’un et l’autre. Sur le fond, les axes de travail sont évidents : la gauche est attendue sur le pouvoir d’achat (35 %), la santé (25 %), l’écologie (19 %), les retraites (19 %) et l’immigration (16 %). A ce travail de fond, déjà entamé, doit être associé un vernis de responsabilité au Parlement, moins d’un Français sur quatre seulement considérant le bilan de la NUPES comme positif « pour l’intérêt des débats à l’Assemblée nationale » et 38 % des sympathisants de gauche le jugeant même négativement.
Vers les échéances électorales futures
S’agissant enfin des échéances électorales à venir, les résultats de l’étude Viavoice – Libération font état d’une absence de consensus sur la stratégie à adopter. Une courte majorité de sympathisants de gauche (56 %) accueille favorablement l’idée d’une liste commune aux élections européennes, moment électoral qui s’annonce délicat pour des gauches aux rapports politiques et philosophiques historiquement discordants sur cette question.
La méthode s’inscrivant dans l’ADN des gauches, la perspective de l’élection présidentielle recueille quant à elle davantage de consensus. 40 % des Français, 65 % des sympathisants de gauche et même 7 électeurs de Jean-Luc Mélenchon sur 10 (69 %) estiment à ce titre que la NUPES devra organiser une primaire pour désigner un candidat unique. Un double plaidoyer donc : pour l’union et pour la démocratie interne.
Si l’hypothèse de la candidature du leader de la France insoumise risque de continuer à animer les débats à venir, la NUPES peut se targuer d’avoir mis sur le devant de la scène la personnalité et les idées de plusieurs personnes. A ce jeu, François Ruffin sort gagnant, découvert par 12 % des Français depuis l’an dernier et considéré comme la meilleure incarnation de la coalition par la même proportion de l’opinion, devant Fabien Roussel (9 %) et Sandrine Rousseau (4 %). Un constat partagé par 20 % des sympathisants de gauche… et 23 % des électeurs de Jean-Luc Mélenchon au premier tour de la présidentielle de 2022.
« C’est donc à un travail d’ampleur qu’en appelle l’opinion pour la NUPES. Au risque de s’enfermer dans le rôle d’une opposition devant faire ses preuves pour accéder aux responsabilités » écrivait-on au mois d’août 2022 pour qualifier les défis qui s’ouvraient alors pour la NUPES (Baromètre Viavoice – Libération, août 2022 « Rentrée sociale et situation de la gauche »). Près d’un an plus tard, une marque installée et des divisions contenues au profit de la mise en avant d’un socle commun sur les idées, l’enjeu doit désormais être celui du travail de fond, de la constructivité et de la reconquête des sociologies qui ont cessé de confier leur destin aux partis de gauche. Là et là seul se trouve la voie de la crédibilité politique et, au bout, la perspective de l’exercice des responsabilités.
Adrien Broche
Responsable des études politiques et publiées