Retraites : sous le rejet, les autres voies
Pour ou contre ? La réforme des retraites qui suscite actuellement une forte mobilisation sociale est généralement envisagée de manière binaire, à la manière d’un choix de soutien ou d’opposition. Pourtant, cette nouvelle livraison du Baromètre des Décideurs Viavoice – HEC Paris – Le Figaro – BFM Business révèle des aspirations alternatives inattendues pour le monde du travail de demain.
Une dégradation du moral des cadres qui marque le pas
Premier enseignement : un léger regain du moral des décideurs, après une dégradation quasi constante depuis le début de l’année 2022. L’indice du moral progresse de -41 à – 38, soit une hausse de 3 points par rapport au mois de décembre.
S’agissant des décideurs, la quasi-totalité des indicateurs s’avère en hausse : perspective d’amélioration du niveau de vie, du niveau de chômage, de leur situation financière et des opportunités de progression de carrière dans les mois à venir. Seul le niveau de motivation perçu des collaborateurs accuse une forte chute de 7 points par rapport à la fin d’année 2022, dans le triple contexte de forte inflation, de tensions sociales et d’incertitudes sur 2023.
L’environnement et les entreprises : les indicateurs d’engagement
Au cœur de cet hiver social durement marqué par l’augmentation des prix et l’évolution subie davantage que désirée vers davantage de sobriété, s’affirme une prise de conscience de la nécessité d’action environnementale :
- 83 % des décideurs et 76 % des Français déclarent être inquiets du changement climatique (+5 points). Plus précisément, plus d’un décideur sur deux se dit « très inquiet » contre un peu plus d’un Français sur quatre (27 %).
- Cette inquiétude se traduit par un engagement croissant des entreprises en faveur de l’environnement. Pour un décideur sur deux, l’entreprise ou l’organisme dans lequel il travaille est engagé environnementalement, position partagée par 47 % de l’opinion (+6 points). La préoccupation majeure demeure la réduction de la consommation d’énergie tant pour les décideurs (57 %, +3), que pour l’opinion (49 %, +4).
Les indicateurs de relance et de la consolidation de l’économie
Alors que la crise du pouvoir d’achat se poursuit, la baisse de la pression fiscale sur les ménages apparaît comme la solution pour les décideurs et la population française pour améliorer la situation économique de la France.
- Un décideur sur deux se déclare favorable à une baisse importante des prélèvements sur les ménages (+4 points depuis décembre et +10 depuis septembre 2022), mesure partagée par 48 % du grand public. La mise en place d’avantages pour les entreprises qui produisent en France constitue toujours une priorité pour ces deux publics.
- L’augmentation significative du Smic et des minima sociaux, dans un contexte inflationniste, apparait ici encore comme centrale pour l’opinion (37 %) mais moins pour les dirigeants (24 %) malgré une légère hausse de 2 points.
Retraites : sous les curseurs, le travail
Dans une France déjà ébranlée par les enjeux d’abord internationaux puis sur le plan intérieur avec la question énergétique, la poussée inflationniste et la crise du pouvoir d’achat, le débat sur le réforme des retraites s’insère dans une conjoncture délicate.
En cause, la portée émotionnelle de la retraite s’avère teintée de pessimisme : pour une large majorité de Français (69 %), la perspective de la retraite suscite en eux de l’inquiétude. Inquiète quant à cette période de leur vie et si elle se révèle partagée sur la nécessité de réformer le système de financement des retraites, la moitié de la population française (49 %) se déclare favorable au principe d’une telle réforme, score qui culmine à 63 % concernant les décideurs.
Pourtant, la réforme proposée par le gouvernement et présentée en Conseil des ministres ce 23 janvier ne convainc pas. Les mesures dévoilées par Elisabeth Borne, notamment celle du recul de l’âge légal de départ à 64 ans, peinent à recueillir l’adhésion : seuls 33 % des Français et 36 % des décideurs se disent favorables au contenu de cette réforme, soit respectivement 16 et 27 points de moins que la part de ceux pour lesquels une réforme de manière générale serait nécessaire.
Dès lors, entre inclination générique en faveur d’une réforme et rejet majoritaire du projet en cours, quelles seraient les marges de manœuvres, les autres perspectives d’avenir souhaitées ?
Première voie : l’emploi des séniors paraît voué à être encouragé, et est cité en tête des préférences des décideurs comme des Français dans leur ensemble. De fait, avec un taux d’emploi des séniors (55-64 ans) établi à 56 %, la France connaît de significatives marges de progressions en la matière. Et une amélioration de ce taux d’emploi, non seulement bénéfique pour les intéressés qui le souhaitent, assurerait une meilleure contribution économique et au financement des retraites.
Gageons que la solution proposée par l’exécutif – la publication d’un « index » d’emploi des séniors dans les entreprises de plus de 1000 salariés, puis de plus de 300 salariés -, ne sera pas suffisant et ne constitue que la première étape d’une mutation.
Seconde solution : la réhabilitation de la « valeur travail » en France. Et il s’agit ici de la véritable grande surprise de cette étude. A l’heure où les discours dominants font état d’un déclin de la valeur travail dans la longue durée, 85 % des décideurs et 88 % des Français estiment que le travail devrait être « davantage encouragé en France » ; réponses massives et inattendues dans une société « post-Covid » où la préservation de soi et le repli sur sa sphère privée seraient portés au pinacle. En réalité, ces résultats révèlent de manière frappante que l’éloge de la « vie chez soi » n’est pas, loin s’en faut, incompatible avec l’importance accordée au travail. Même si ce dernier tient une place considérablement moins importante dans la vie par rapport au début des années 1990, le travail en tant que construction de soi, de relation aux autres, de ressort de performances personnelles et professionnelles, économiques et financières, demeure massivement reconnu.
Et c’est ici que le bât blesse concernant la réforme en cours : pour deux Français sur trois (63 %), la réforme des retraites soutenue par l’exécutif constitue une mauvaise manière d’encourager le travail en France. Autrement dit : ce n’est pas en augmentant le nombre d’années passées « en activité » que la valeur travail sera nécessairement privilégiée.
Ainsi l’avenir ne serait-il pas réductible à des questions de curseurs arithmétiques, qu’il s’agisse d’âges ou d’annuités.
Promouvoir le travail des séniors, encourager la valeur travail de manière générique : les aspirations (convergentes) des décideurs et des Français plaident certes comme un appel à préserver le « droit au retrait » en dernière partie de vie, mais également à encourager et permettre l’engagement lors des années ou décennies qui précèdent.
François Miquet-Marty
Président
Adrien Broche
Responsable des études politiques et publiées
Par :
François Miquet-Marty
Adrien Broche
Lola Lusteau