Politique

Baromètre politique Viavoice-Libération. Le climat démocratique et institutionnel. Avril 2023

Le climat démocratique et institutionnel
Après la crise sociale et politique, le réveil de la question institutionnelle

Alors que la séquence encadrant le projet de réforme des retraites avait ouvert une crise sociale particulièrement aigüe, son issue à la fois inéluctable et pourtant surprenante y a ajouté un puissant remous politique. Il convient alors d’éclairer le rapport de l’opinion aux questions institutionnelles sous-tendues par le dénouement de cette « séquence retraites ». C’est ici et dans ce climat sociopolitique houleux que s’inscrit la nouvelle édition du baromètre politique Viavoice – Libération.

Une dégradation des popularités de l’exécutif qui marque le pas

Alors que la précédente édition du baromètre politique Viavoice – Libération révélait une nette chute des cotes de popularité d’Emmanuel Macron et d’Elisabeth Borne au cœur du contexte de crise sociale, cette dégradation se stabilise. Le président de la République enregistre 26 % d’opinions positives, un score en ligne avec celui de février dernier, quand la première ministre Elisabeth Borne gagne un point de popularité, s’établissant à 24 % de bonnes opinions.

Un net regain de popularité auprès des cadres explique cette stabilité, regain qui vient compenser une chute auprès des sympathisants Les Républicains, peu étonnante au vu des tensions révélées entre cette formation politique et celle de la majorité qui a conduit – faute d’accord – à l’utilisation de l’article 49 alinéa 3 par le gouvernement.

Les enjeux sociaux et écologiques toujours largement en tête des préoccupations, des évolutions de confiance générale contre-intuitives

S’agissant des préoccupations principales des Français, la question sociale reste encore et toujours structurante des attentes de l’opinion. C’est en effet d’abord sur le pouvoir d’achat que les Français attendent une action du gouvernement et du parlement, 72 % plaçant cet enjeu comme prioritaire, score en hausse de 2 points. C’est ensuite sur la santé (51 %), les retraites (45 %, + 3 points) et l’énergie que l’opinion attend des actes. L’été approchant, la question écologique progresse de 4 points par rapport à la précédente édition et s’installe comme le cinquième enjeu de préoccupation pour l’opinion, remplaçant l’enjeu sécuritaire (-12 points depuis février).

Après des semaines de débat public, de discussion parlementaire plus ou moins fructueuse et de nombreuses journées de mobilisation dans la rue, l’heure est au bilan global de la séquence concernant la crédibilité des forces politiques. En dehors de la seule question des retraites, l’analyse du niveau de confiance général envers les différentes formations parlementaires pour agir sur une multitude de sujets révèle un léger recul du Rassemblement national, formation la plus crédible sur 20 % des enjeux (-2 points, toujours en tête), et de la NUPES, jugée la plus crédible sur 14 % des enjeux (-2 points). Être audible et crédible à la fois, voilà l’équation qui, une nouvelle fois semble devoir arbitrer l’avenir de la première force d’opposition à la majorité. Celle-ci, sous le feu des critiques mais se drapant de l’étendard de la responsabilité, progresse de 3 points (crédible sur 18 % des sujets) quand les Républicains, replacés dans la lumière du débat public le temps du vote de la réforme, enregistrent aussi une légère hausse de 3 points (12 %).

Sous la crise politique et sociale, la question institutionnelle et l’enjeu du consentement

Alors que les légitimités démocratique et populaire s’affrontent férocement depuis des semaines, que certains opposent à la légitimité électorale – incontestable – d’Emmanuel Macron une légitimité morale en perdition, de plus profonds questionnements, qui travaillent depuis bien longtemps l’articulation des pouvoirs en France, ont remonté à la surface. Ainsi assiste-t-on à un retour des questions ayant trait aux institutions, au degré et à la nature du pouvoir présidentiel. Répartition des pouvoirs, verticalité de la décision politique, avenir des institutions : autant de questions architectoniques qui irriguent les questionnements profonds de l’opinion.

Le ton est en effet donné dès lors que plus de 3 Français sur 4 (76 %) jugent la démocratie française en « mauvaise santé ». Si les remèdes semblent toujours difficiles à lister, les manifestations de cette maladie institutionnelle sont clairement pointées du doigts dans l’opinion.

Raison prioritairement invoquée : des élus déconnectés des réalités des Français, critique qui prend une dimension encore plus marquée dans un contexte de crise du pouvoir d’achat qui accentue la distinction entre le haut et le bas de la société française.

Pour près de la moitié des Français estimant la démocratie en mauvaise santé (49 %), le tort vient ensuite d’une pratique du pouvoir trop autoritaire. A en écouter l’opinion critique de la santé démocratique française, c’est à une dialectique entre déconnexion et autoritarisme, phénomènes qui se nourrissent entre eux, qu’est imputé le mal institutionnel français. Une fois la légitimité de l’élection acquise, c’est à la réalité de l’illégitimité de la pratique politique que se heurtent des élus  considérés comme trop éloignés de la réalité du corps social français : ainsi seraient-ils contraints à l’autoritarisme. Plus d’un Français sur deux pointe ainsi la pratique du pouvoir par Emmanuel Macron qu’ils considèrent comme « trop autoritaire » (54 %).

Signe des doutes qui se sont instillés parmi les soutiens de la majorité tout au long de ces dernières semaines et particulièrement suite à l’utilisation de l’article 49 alinéa 3, plus d’un tiers des électeurs d’Emmanuel Macron (36 %) et 60 % des retraités se rangent également derrière ce constat. Un constat d’opinion largement appuyé par une dénonciation majoritaire de l’utilisation de cet outil constitutionnel, considéré comme une pratique illégitime aux yeux de 62 % des Français et 36 % des électeurs d’Emmanuel Macron au 1er tour de l’élection présidentielle. A noter cependant, le soutien d’un Français sur quatre à son utilisation, considéré comme « pratique légitime face à un débat bloqué », constat davantage partagé par les sympathisants de la majorité et de la droite.

Enseignement marquant de cette nouvelle édition du baromètre politique Viavoice – Libération,      48 % des Français imputent la mauvaise santé de la démocratie en France au fait que les « institutions ne fonctionnent plus correctement ». Bien devant la perte de souveraineté (39 %) et le fait que les Français ne s’intéressent plus à la politique, constat davantage considéré comme conséquence que comme cause, c’est ainsi une question institutionnelle d’ampleur qui remonte à la surface. Seuls 7 % des Français considèrent ainsi les institutions adaptées et n’ayant pas besoin d’être réformées quand 30 % les considèrent adaptées mais « mal utilisées ». Surtout, la moitié (49 %) de la population française les estiment désormais inadaptées et devant être profondément réformées.

S’agissant des pistes d’amélioration, si le renforcement des pouvoirs du président de la République est logiquement rejeté par 58 % des Français, le fait de recourir plus facilement au référendum et de le rendre obligatoire sur certains sujets recueille le soutien d’une majorité de l’opinion (52 %). Le renforcement des pouvoirs de l’Assemblée nationale n’est  considéré comme une « bonne idée » que par 30 % des Français, score qui souligne une aspiration à plus de participation directe, davantage même qu’à un rééquilibrage entre les pouvoirs législatif et exécutif. Derrière la critique formulée par l’opinion d’une forme « d’autoritarisme présidentiel », c’est donc bel et bien une méfiance plus large envers les élus qui se manifeste.

La violence des forces de l’ordre et celle des manifestants sont « comprises » (sans être nécessairement tolérées pour autant) par respectivement 45 % et 36 % des Français, selon qu’elles sont commises par les forces de l’ordre ou les manifestants. C’est ainsi la menace d’un affaiblissement des « consentements » qui plane derrière les crises sociale, politique et institutionnelle qui sont à l’œuvre.

Fragilité du consentement à l’effort de soutien aux Ukrainiens (baromètre politique Viavoice-Libération, octobre 2022), fragilité du consentement à la démocratie représentative s’agissant des débats sur les légitimités des élus, questionnements sur l’efficacité des services publics au regard des prélèvements obligatoires qui pourraient, à terme, interroger le consentement à l’impôt… Autant de signaux qui doivent encourager à prendre au sérieux ces questions institutionnelles qui, à la fin des fins, engagent notre pacte social et font courir à la France le risque de finir par connaître, elle aussi, son moment populiste.

Adrien Broche
Responsable des études politiques et publiées

Par :
François Miquet-Marty
Adrien
Broche
Lola Lusteau

Publié le 17/04/2023

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