Le quinquennat Macron perçu par les Français
Du président du renouveau à une présidence des crises cycliques
Aux portes de l’élection présidentielle, quel bilan tirer du quinquennat d’Emmanuel Macron, probable candidat à sa réélection ? Au-delà des éléments d’adhésion, le baromètre politique Viavoice – Libération se penche sur ce qu’il reste de ces cinq années de la présidence Macron dans l’opinion des Français. Marquées par les crises successives, ces années « hors normes » auront-elles apporté la rupture et le renouveau promis par le candidat de 2017 ?
Derrière ces interrogations se cachent finalement la tonalité et le sens de la campagne du Président sortant qui semble, en l’état, en position de force pour aborder l’élection. A quelques semaines du premier tour, Emmanuel Macron bénéficie d’une popularité élevée puisque 39 % des Français en ont une bonne opinion (à titre de comparaison, son prédécesseur François Hollande bénéficiait d’une opinion positive auprès de seulement 18 % des Français, en février 2017). Doit-on voir derrière cette popularité une vision positive de son bilan ?
Une présidence de gestion de crise (sanitaire)
C’est une extraordinaire inversion. Alors que la présidence Macron se voulait à l’origine très transformatrice, ce qui reste du quinquennat aux yeux des Français est en priorité la gestion de la crise sanitaire (37 %) ; l’autre « crise », celle des Gilets jaunes, est reléguée loin derrière (7 %), et « les différentes réformes menées » sont presque occultées (8 %). « Crise » est bien le mot qui caractérise le mieux le quinquennat pour 54 % des Français. Crise sanitaire bien sûr, mais crise sociale également : les mots « révolte » (32 %), « violence » (21 %) et « déconnexion » (27 %) sont également cités par les Français, témoignage d’un climat social agité.
Et de cette extraordinaire inversion, les Français ont bien conscience : à leurs yeux, la pandémie du Covid-19 a impacté à la fois la manière de gouverner d’Emmanuel Macron (63 %) mais aussi les promesses et les réformes du Président (60 %).
Quelles en sont les conséquences pour le Président sortant ?
- En soi, le bilan est contrasté : 21 % des Français jugent qu’Emmanuel Macron sortira renforcé de cette crise, 32 % affaibli et 40 % ni renforcé, ni affaibli.
- Mais la gestion de la crise sanitaire permet également à Emmanuel Macron de convaincre des électorats « de conquête » : 42 % des sympathisants de gauche estiment qu’il ne ressort ni renforcé ni affaibli des crises, autant chez les sympathisants de droite, ce qui nuance l’idée d’une critique de la gestion de crise par ces électorats. Plus encore, 15 % des électeurs de Benoît Hamon et 26 % de ceux de François Fillon estiment qu’il en ressortira renforcé…
En outre, cette « présidence des crises » aura d’autant davantage mis l’accent sur « la manière de gouverner, la personnalité » du président de la République (28 %). Le style personnel, l’exercice vertical du pouvoir, souvent sans médiations, et l’imaginaire du « capitaine dans la tempête » ont achevé de forger cette puissante « marque Macron », il y a cinq ans peu connue et désormais surdéterminante dans la galaxie des perceptions du « macronisme ».
Une transformation jugé ténue, avec circonstances atténuantes
Concernant la promesse de renouveau porté par le candidat Macron en 2017, les Français portent un regard volontiers critique. La présence à l’esprit des réformes Macron se révèle très peu construite : un Français sur deux (49 %) n’est pas en mesure de citer une seule réforme du quinquennat….
Sur le plan de la transformation apportée :
- Jugé plus positivement sur les sujets internationaux (39 % considèrent qu’il a su transformer le pays concernant la place de la France à l’international) ou encore sur le plan économique (37 %) le constat d’une réelle transformation reste minoritaire.
- C’est sur les plans politique, social et écologique que les Français déplorent une absence de changement sur ce quinquennat.
Singulièrement sur le plan politique, les Français se révèlent critiques quant à la promesse de renouvellement :
- Seuls 30 % estiment que depuis l’élection d’Emmanuel Macron est survenu un réel renouvellement politique.
- Seuls 21 % jugent que le paysage politique beaucoup changé depuis son élection et 19 % que la façon de faire de la politique a beaucoup changé.
Éléments d’une candidature : la triple promesse du capitaine, du réformateur et du recours
Cette singularité d’un quinquennat en grande partie « empêché » offre au président sortant la possibilité d’une triple promesse dans le cadre de sa probable candidature :
- La promesse du réformateur, disposant cette fois d’une latitude d’action, sauf nouveaux événements exogènes. Métaphoriquement, Emmanuel Macron ne se succède pas à lui-même, mais détient la possibilité d’écrire une page nouvelle.
- La promesse du capitaine ; ayant eu à connaître des crises majeures, Emmanuel Macron peut se prévaloir d’une expérience que ses concurrents ne détiennent pas, et d’une capacité volontiers perçue à affronter les défis futurs.
- La promesse du recours, en regard de la faiblesse d’image actuellement perçue concernant une partie de ses concurrents.
Concrètement, des électorats de conquêtes se dessinent : les 31 % des Français qui retiennent de sa présidence sa gestion de crise et qui pensent qu’il en sortira renforcé ; les 19 % qui n’attendaient rien d’Emmanuel Macron et qu’il a su convaincre pendant sa présidence, composée de 30 % d’électeurs de gauche et de 28 % d’électeurs de droite.
Au répertoire des fragilités, le président sortant s’expose à un alliage lui-même relativement inédit, à l’aune de la période : le cumul des impatiences (sociales, sanitaires, en matière de pouvoir d’achat, climatiques, sécuritaires, etc.) ; les tensions et fractures de société non résorbées et parfois amplifiées ; les traits d’image personnels du Président ; l’indécision des électeurs en vue du premier tour, laquelle autorise de fortes fluctuations d’ici le 10 avril ; la perception d’un scrutin « joué d’avance », incitant en retour à modifier les rapports de force.
L’immense singularité d’Emmanuel Macron est d’être sauvé paradoxalement par la tragédie de l’Histoire. Il n’a pas dissipé le malheur français, mais n’a pas non plus échoué : il a été confronté à un malheur mondial plus grand encore qui l’a détourné de son objet et se trouve, au terme des épreuves, confronté à des opposants républicains sans dynamique d’opinion. A cette aune, 42 % des Français jugent positivement son bilan. Emmanuel Macron peut prétendre à un second quinquennat pour débuter le premier ou le réinventer encore, avec les opportunités et les risques associés. Ce sera l’un des enjeux majeurs enjeu de sa nouvelle campagne électorale.