“La laïcité, un principe essentiel, maltraité dans le débat public, défié par la montée des intolérances et l’absence de mixité sociale”
Le baromètre annuel mené par Viavoice pour l’Observatoire de la laïcité participe à la compréhension de la perception par les Français de la laïcité et de son application. Au regard de la pluralité des interprétations de ce principe (dès lors, de ses applications), il apparaît nécessaire d’identifier les éléments qui sous tendent les représentations que les Français ont de la laïcité.
Dans un contexte national marqué par les attentats islamistes, par la pandémie de covid-19 qui a renforcé l’attachement des Français aux services publics, et par des débats animés et parfois vifs sur la laïcité, il ressort de cette nouvelle édition, effectuée en dehors de toute polémique, plusieurs constats principaux :
– Près de 6 Français sur 10 (56%, +2 points) définissent correctement la laïcité en droit.
– Plus de 7 Français sur 10 se déclarent attachés à la laïcité telle que définie par le droit (73%, stable).
– Si une majorité relative de Français (43%, stable) considèrent que la laïcité rassemble en théorie, moins de 2 sur 10 (18%, stable) considèrent que, dans la pratique, la laïcité rassemble.
– Si 41% des Français considèrent que la laïcité est « plus ou moins bien appliquée selon les autorités publiques», dans le contexte pandémique, 6 Français sur 10 considèrent désormais qu’elle est « bien appliquée à l’hôpital » (63%, +7 points).
– Pour les Français, les « crispations vis-à-vis de certains signes religieux » (38%) ne sont plus vues comme une des 3 principales difficultés auxquelles aura à se confronter la laïcité : la « montée des intolérances » (52%) et « le communautarisme lié à l’absence de mixité sociale » (40%) se classant en tête.
– Une majorité de Français (52%, stable) considère qu’on ne parle de la laïcité « qu’à travers la polémique », et pour plus de 6 Français sur 10 « les personnalités politiques instrumentalisent la laïcité » (61%, cependant en baisse de 7 points, avec une hausse des non-réponses).
– Une majorité de Français, y compris de parents d’élèves, considère qu’« on n’enseigne pas assez » ni la laïcité (59%) ni les faits religieux à l’école (34%) (nouvel item).
– Pour plus de 6 Français sur 10 (63%), y compris chez les parents d’élèves, les enseignants ne sont pas suffisamment « outillés et informés » ni sur la laïcité ni sur l’enseignement laïque des faits religieux (nouvel item).
Un attachement fort à la laïcité : un principe qui fait partie de l’identité française, qui rassemble et protège, en théorie mais pas suffisamment en pratique.
Cette année encore, les résultats de l’étude confirment l’attachement très fort des Français à la laïcité : 73% se disent « attachés » dont 41% « très attachés » à ce principe. A noter que plus les Français connaissent la définition, en droit, de la laïcité, plus ils s’y déclarent attachés.
Plusieurs facteurs expliquent le niveau d’attachement des Français à la laïcité :
– D’abord son caractère fédérateur, car pour 80% des Français la laïcité est un principe non partisan, « ni de droite, ni de gauche » ; « essentiel » pour 72% d’entre eux et faisant « partie de l’identité française » selon 78%.
– Une majorité de Français (51 %, stable) perçoivent le caractère protecteur des libertés convictionnelles de la laïcité, pour tout le monde, dans la théorie.
Cependant, à peine un tiers (34%) d’entre eux estiment qu’en pratique la laïcité « protège tout le monde sans exception ».
De même, si 43 % des Français estiment que la laïcité telle qu’elle est définie par le droit « rassemble », seuls 18 % estiment que c’est le cas en pratique. Soit un écart de 25 points…
La Laïcité et son application par les institutions : une tendance positive dans un contexte singulier
Si l’écart entre la laïcité telle qu’elle est définie en théorie et telle qu’elle est appliquée au quotidien s’installe, les scores de cette année notent une tendance positive concernant l’application de ce principe par les institutions.
– Au global, 21% (+2 points) des Français estiment que la laïcité est bien appliquée et 41% (+2 points) qu’elle est plus ou moins bien appliquée ;
– A l’inverse, 26% estiment qu’elle est mal appliquée, une baisse de 5 points par rapport à janvier 2020.
Si ces résultats montrent les efforts qu’il reste à fournir pour la bonne application de la laïcité par l’ensemble des institutions, les Français semblent plus positifs vis-à-vis d’elles.
Alors qu’en 2020, les scores de « bonne application » de la laïcité étaient tous en baisse, la quasi- totalité des résultats progressent cette année :
– Dans un contexte de crise sanitaire éprouvant pour le personnel soignant, 63 % des Français estiment que l’hôpital public applique bien la laïcité, un score en progression de +7 points ;
– De même, 53% estiment que le service public en général applique correctement ce principe (+5 points depuis 2020) et 50% les collectivités locales (+7 points).
Cette évolution positive des perceptions est marquée par le contexte de crise qui semble avoir rapproché les Français de leurs services publics en général.
La persistance de clivages générationnels, socioprofessionnels et genrés
Ces constats n’occultent pas, cette année encore, les clivages observés concernant le niveau de connaissance de ce principe, le degré d’attachement ainsi que la perception de son application.
Concernant le niveau de connaissance de la loi, le premier clivage est générationnel. En ce sens, si 74% des 65 ans et plus restituent correctement la définition de la laïcité, ils ne sont que 52% chez les 35-64 ans, et 49% chez les 18–34 ans.
En ce qui concerne le degré d’attachement à ce principe, un écart entre les hommes et les femmes se confirme : si 77% des hommes se disent attachés à la laïcité, 69% des femmes déclarent l’être.
Taux qui semblent liés au clivage entre femmes et hommes quant au jugement de la bonne application de la laïcité (60% des hommes pensent que la justice applique bien la laïcité, seules 51% des femmes sont d’accord ; concernant la police, les chiffres sont de 55% et de 44%), mais aussi au fait que l’attachement est plus fort chez les personnes en activité et au sein des cadres, catégories où se traduit une inégalité femmes/hommes.
Le clivage socioprofessionnel persiste ainsi nettement entre les cadres d’un côté, dont 84% se déclarent attachés à la laïcité, et les employés et ouvriers qui sont respectivement 62 % et 63 % à s’exprimer ainsi.
Des écarts générationnels sont également assez nets, les plus âgés étant les plus nombreux à se déclarer attachés à la laïcité : si les moins de 35 ans sont en moyenne 65% à se déclarer attachés à la laïcité, les 35-64 ans le sont en moyenne à 72%, (+7 points), quand les 65 ans et plus le sont à 85% (+13 points).
Mieux parler de la laïcité et contrer les intolérances et l’absence de mixité sociale
La laïcité est donc confrontée à de nombreux enjeux qui nous engagent collectivement à mieux l’expliquer et mieux l’appliquer plus qu’à réinventer ce principe auquel, nous l’avons vu, les Français sont très attachés.
– En ce sens, il faut souligner qu’un changement de la loi de 1905 dans ses principes essentiels n’est toujours pas attendu par l’opinion, estimant majoritairement qu’elle reste adaptée (44%).
– Toutefois, une part relativement importante des Français ne se positionne pas sur la question et montre que les esprits ne se sont pas totalement figés (24%) quant à des adaptations à la marge.
La « montée des intolérances entre les différentes communautés » constitue un enjeu majeur pour 52% des Français. Viennent ensuite la lutte contre « le communautarisme liée à l’absence de mixité sociale dans certains quartiers » et enfin « la montée de l’intolérance entre certains croyants et non croyants ».
C’est donc sur le sujet de la cohésion sociale, corolaire du vivre et du faire ensemble que les Français attendent des actions.
Il est également souligné l’importance de parler davantage et mieux de la laïcité. Davantage puisque 40% des Français estiment « qu’ on ne parle pas assez » de ce sujet et mieux car 52% estiment que « l’on ne parle de laïcité qu’à travers la polémique ».
Dès lors, et même si les Français connaissent relativement bien la loi, une certitude émerge : l’enjeu de la pédagogie. Et ce défi doit se relever le plus tôt possible, à l’école.
– En ce sens, 59% des Français considèrent que « l’on n’enseigne pas assez la laïcité à l’école » ;
– Et 38% « qu’on l’enseigne mal », 36% répondant « ça dépend ».
Loin de jeter la pierre aux enseignants, les Français pointent surtout le manque d’outils et de formation à leur disposition. En effet, 63% des Français estiment que les enseignants ne sont pas suffisamment outillés et informés pour enseigner la laïcité à l’école. Il en est de même, avec des chiffres légèrement plus bas, en ce qui concerne l’enseignement laïque des faits religieux.
Les défis posés à la laïcité n’ont jamais cessé de nous engager. Il faut donc continuer à alimenter avec rigueur les réflexions autour de ce principe, l’enseigner et l’expliquer, moins polémiquer et mieux en parler, pour en assurer une parfaite application. Seule notre capacité collective à rappeler avec force ses fondements nous permettra de renforcer la cohésion nationale