Politique

Baromètre politique – Portraits d’opinion d’Eric Zemmour et Marine Le Pen

Éric Zemmour
Une radicalité à l’épreuve de la crédibilité

Dans une dynamique d’opinion depuis quelques mois, le non-candidat Éric Zemmour semble rebattre les cartes du duel annoncé Le Pen Macron. Plus que cela, son intrusion dans le débat de la campagne présidentielle repositionne les thèmes et la tonalité de la pré-campagne qui s’effectue à droite, contraignant une partie des candidats à suivre cette « dure » ligne de crête.

Pour autant, les résultats de cette nouvelle livraison du Baromètre politique Viavoice Libération font état d’un portrait d’opinion en demi-teinte concernant le polémiste. La progression en termes d’intentions de votes n’occulte pas les difficultés d’image, d’incarnation auxquelles ce dernier doit faire face encore aujourd’hui.

Éric Zemmour : les deux réalités du socle de soutien et de la sphère d’acceptabilité

L’image d’Éric Zemmour au sein de l’opinion publique clive fortement, et nourrit une défiance massive : 68 % des Français ont une image négative d’Éric Zemmour, c’est auprès des électeurs de Marine Le Pen (41 %) et de ceux de François Fillon (41 %) qu’il bénéfice d’une meilleure opinion.

Pour autant, le « phénomène Zemmour » actuel repose à la fois sur un socle de soutien, et sur une sphère de tolérance.

Le socle de soutien recouvre la part de personnes qui « souhaitent » qu’Éric Zemmour soit le prochain président de la République. Il s’établit à 16 %, et fédère 45 % des sympathisants RN (38 % des électeurs de Marine Le Pen en 2017) et 26 % des sympathisants LR (25 % des électeurs de François Fillon), qui voient en la candidature tribunitienne de Zemmour un souffle d’alternance aux candidatures plus convenues. En détail, le socle électoral d’Éric Zemmour reste très composite. En termes de territoires, d’âge ou de catégories sociales, aucune sur-représentation n’est visible.

La sphère de tolérance consiste en la part de personnes qui souscrivent à la présence d’Éric Zemmour, de ses visions et prises de positions :

  • 35 % considèrent que les prises de positions d’Éric Zemmour constituent une bonne chose pour le débatd’idées (cela reste minoritaire en regard des 52 % qui jugent au contraire que sa présence est une mauvaise chose pour le débat) ;
  • 30 % partagent certains constats dressés par Éric Zemmour, résultat là encore minoritaire en regard des 49 % qui ne les partagent pas du tout, mais suffisant pour influencer les termes actuels du débat et repositionner les rapports de force à droite de l’échiquier politique.

    Danger démocratique

    Au-delà d’une perception majoritairement négative, le constat d’une faible désirabilité du candidat est clairement exprimé : 74 % des Français ne souhaitent pas qu’Éric Zemmour soit le prochain président de la République en 2022.

    En outre, la majorité des Français (55 %) estime qu’Éric Zemmour constitue un danger pour la démocratie : 33 % en sont même convaincus. Si cet avis est moins prononcé auprès des sympathisants RN et LR, plus d’un tiers d’entre eux (39 % des sympathisants de droite et 32 % de sympathisants RN) voient toutefois dans cette personnalité un danger démocratique.

Incrédibilité d’une candidature « mono-registre »

Éric Zemmour fait face à un autre obstacle majeur : celui de sa crédibilité. Sur l’ensemble des enjeux cités, le niveau de confiance accordée par l’opinion au polémiste oscille entre 14 % et 35 %.

  • Sans surprise c’est sur l’immigration (35 %) et la sécurité (34 %) que les Français lui accordent le plus de crédit.
  • Pour autant, sur des enjeux majeurs et prioritaires pour l’opinion, sa crédibilité reste extrêmement faible : 21 % des Français le jugent crédible sur la question du pouvoir d’achat, 19 % sur la santé et 14 % sur l’écologie.Dès lors, cette campagne du candidat potentiel qui souhaite rompre avec tous les schémas narratifs d’une campagne politique traditionnelle peine à convaincre plus largement.
  • Cette crédibilité lui faisant défaut, seuls 28 % des Français considèrent qu’il peut apporter des solutions utiles aux Français, 21 % qu’il représente bien les gens, et 18 % qu’il est crédible pour devenir président de la République.
  • Sur ces aspects, un clivage genré est très clairement identifié, les femmes étant très largement défiantes sur l’ensemble des registres. Elles sont bien moins nombreuses que les hommes à penser qu’Éric Zemmour puisse les représenter (16 % pour les femmes contre 26 % pour les hommes) et être à proche des gens (16 % pour les femmes contre 29 % pour les hommes).Notons toutefois qu’auprès des sympathisants de droite, s’il est jugé très peu crédible pour devenir le prochain chef de l’Etat (26 %) il parvient à convaincre 56 % d’entre eux pour apporter des solutions utiles aux Français. Cette candidature sur un seul registre saura-t-elle faire face au risque d’essoufflement ?

    Une extrême droite bicéphale, un rapport de force favorable à Marine Le Pen

    La situation inédite d’une double candidature à l’extrême droite laisse apparaître un duel entre Marine Le Pen et Éric Zemmour dont les récentes intentions de vote semblent avantager ce dernier. Pour autant, la comparaison des portraits d’opinion laisse à voir une autre réalité politique.

    D’abord, bien plus installée dans l’opinion, Marine Le Pen bénéficie d’une meilleure image que son rival. Mais plus encore, elle est jugée davantage crédible que le polémiste, même sur ses sujets de prédilections :

  • 43 % des Français jugent Marine Le Pen crédible sur les enjeux de sécurité, ils sont 34 % pour Éric Zemmour ;
  • 44 % sur le sujet de l’immigration, 35 % pour Éric Zemmour.Même si la candidate du RN ne convainc que très peu sur les enjeux écologiques (23 %), internationaux (25 %) ou économique (28 %) elle apparaît néanmoins plus crédible qu’Éric Zemmour. Jugée plus proche des Français (35 % contre 22 %), elle est surtout perçue comme davantage crédible pour devenir présidente de la République que le polémiste (28 % contre 18 %).

Ces traits d’image détaillés nourrissent finalement l’image d’une candidature d’Éric Zemmour bien plus clivante dans l’opinion publique.

  • Il apparaît comme plus radical que Marine Le Pen pour 53 % des Français, plus inquiétant pour 47 %. Mais surtout, il ne bénéficie pas de traits d’image différenciants qui auraient pu lui être favorables :
  • Il n’est pas jugé comme plus honnête (31 % le trouvent moins honnête que Marine Le Pen) ni plus compétent (40 % le jugent moins compétent).
  • Plus délicat pour lui, 44 % des Français estiment qu’il est moins présidentiable que la candidate Marine Le Pen, un constat plus problématique si on observe les seulement 29 % de sympathisants de droite et 24 % de sympathisants RN qui lui reconnaissent une stature de Président.

    La grande mise en tension, ou la mise à l’épreuve de la résistance du « système »

    Ainsi, en termes d’opinion, postures clivantes et transgressions constituent indissolublement à la fois la force et la faiblesse du parcours d’Éric Zemmour : c’est précisément à la faveur de ses visions et outrances que le polémiste parvient à fédérer un socle de soutien important (16 %) à l’idée de son destin présidentiel ; et c’est au nom des mêmes motifs que ce dernier se voit décrié par ses détracteurs.

    Une large part de l’histoire d’Éric Zemmour est donc une affaire de mise en tension : mise en tension maximale du « système », des références et des valeurs communément admises, pouvant à la fois :

  • Fédérer des soutiens en sa faveur ;
  • Intensifier les désaveux, les discrédits et les indignations.À ce titre, le « phénomène d’opinion Zemmour » apparaît comme un « crash test » grandeur nature, où la mise à l’épreuve croissante du système peut conduire à un point de rupture espéré par le polémiste, ou au contraire à son réarmement. Au-delà de la personne d’Éric Zemmour, c’est un des enjeux démocratiques les plus virulents de la période actuelle.
Par :
Stewart Chau
Adrien Broche
François Miquet-Marty
Publié le 29/11/2021

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