Politique

Baromètre politique Viavoice – Libération. L’hiver social. Octobre 2022

Sous la mise en cause des pouvoirs publics et face à l’intensification de la question sociale

L’enjeu majeur du consentement à l’effort

Les résultats du précédent baromètre politique mené par Viavoice pour Libération soulignaient la rencontre difficile entre une rentrée sociale tendue, déjà placée sous le signe d’une crise du pouvoir d’achat, et un paysage politique encore fragile. Entre une majorité non-absolue pour la coalition Ensemble, une coalition NUPES à la recherche d’une ligne de crête entre une volonté de se faire entendre dans les débats parlementaires et la recherche d’une crédibilité qui tarde à venir et une opposition d’extrême-droite qui joue la carte de la discrétion de façade, le champ politique prenait ses marques.

Deux mois et une menace de dissolution en cas de vote d’une motion de censure sur la réforme des retraites plus tard, la situation du champ politique ne se révèle pas plus stable. Retour de la question des retraites dans le débat public, discussions inter et intrapartisanes sur le chômage et le travail : les affects politiques sont à nouveau déchaînés et la perspective de l’entrée dans un hiver social préoccupant n’arrange rien. Pouvoir d’achat, froid, rue : la question sociale était sur toutes les lèvres, elle s’apprête à s’immiscer plus encore qu’auparavant dans les foyers et la rue. Ce sont les principaux enseignements du nouveau baromètre politique Viavoice pour Libération.

L’opinion et l’inflation : une expérience du quotidien

Il est des enjeux médiatiquement centraux qui restent parfois cantonnés aux débats d’experts et dont les liens avec le quotidien de l’opinion sont parfois sinueux. Le sujet de l’inflation n’est assurément pas de ceux-là.

  • Près de 9 Français sur 10 ont constaté et vécu une augmentation des prix ces dernières semaines et ces derniers mois, dont 70 % qui l’ont « tout à fait » remarqué. Si cet enseignement n’est pas surprenant, il donne le cadre d’un débat qui ne peut se tenir autrement que dans une atmosphère d’urgence et sur lequel plane le spectre d’une agitation passionnelle lorsqu’il se conjugue aux crises parallèles, à celle de l’énergie en premier plan.
  • En conséquence et à la vue des problématiques énergétiques qui se profilent si elles ne sont pas déjà vécues, 83 % des Français anticipent un hiver plus compliqué que d’habitude du point de vue économique et social, 48 % de l’opinion et 58 % des catégories populaires estimant même qu’il sera « absolument » plus difficile.

C’est d’abord sur les dépenses énergétiques que des efforts sont envisagés pour 68 % des Français, et les efforts prévus sur les dépenses alimentaires (58 %), sur les loisirs (56 %) et sur l’habillement (48 %) ne sont pas en reste.

Dès lors, une grande partie des cercles de la vie sociale sont concernés et les répercussions de la question énergétique sont plurielles : le sentiment que le travail ne suffit pas à rattraper la hausse du coût de la vie risque de déborder sur la vie personnelle d’une société française fatiguée qui sera contrainte de sacrifier une part de ses loisirs, soit de son temps personnel.

L’opinion et la crise énergétique : une expérience de proximité

Si la hausse du coût de la vie fait déjà partie du quotidien des Français, la question énergétique est appelée à s’y immiscer.

  • En ligne avec des économies prévues sur le plan de l’énergie anticipées par 68 % de l’opinion, 58 % des Français craignent d’avoir froid chez eux cet hiver et de ne pas pouvoir se chauffer comme ils le souhaiteraient à cause du prix de l’énergie.

La hausse du coût de la vie passe ainsi d’une expérience strictement socio-économique à une dimension sensorielle voire charnelle. Elle est un point de rencontre entre le champ politique et un champ émotionnel qui couve un potentiel de crispation élevé dans l’opinion.

La confiance politique :  la NUPES accuse le coup, la « force tranquille » du RN

Alors que les enjeux sociaux continuent d’arriver en tête des préoccupations des Français (pouvoir d’achat, énergie, santé puis sécurité et transition écologique), la confiance envers les formations politiques se stabilise mais la NUPES accuse le coup des polémiques et des affaires survenues en cette rentrée.

L’indice de confiance politique élaboré par Viavoice pour Libération (calculé à partir de la confiance placée dans les formations politiques pour chacun des 16 sujets de préoccupation de l’opinion) témoigne de ces dynamiques :

  • La NUPES perd trois points de confiance en passant de 16 % à 13 %, apparaissant moins crédible que la majorité sur des sujets censés être de son champ de légitimité (pouvoir d’achat, santé, emploi, éducation notamment),
  • Le Rassemblement national (RN) et la majorité Ensemble progressent parallèlement de 19% à 20 %,
  • Les Républicains (LR) se stabilisent et ferment la marche en ne recueillant la confiance de l’opinion que sur 12 % des enjeux.

Le partage des responsabilités et le terreau d’un ressentiment

L’analyse des responsabilités imputées concernant la crise sociale que traversent et s’apprêtent à traverser les Français offre d’importants éclairages et une grille de lecture indispensable pour comprendre l’opinion et en déduire le poids du ressentiment.

  • Concernant l’origine des problèmes, l’opinion est partagée : moins d’1 Français sur 10 considère aujourd’hui que les problèmes qui se posent sur le pouvoir d’achat, la hausse des prix sont essentiellement des répercussions de la guerre en Ukraine. La moitié de la population française considère que cela est du « à la guerre en Ukraine mais aussi aux politiques menées par les gouvernements en France depuis des années » (48 %). Surtout, 1 Français sur 3 attribue cette situation non pas à la guerre mais essentiellement aux politiques menées (34 %).
  • Contre l’explication conjoncturelle souvent évoquée par l’exécutif, c’est à une toute autre lecture que se livre un tiers de l’opinion qui y lit davantage une responsabilité structurelle. Peu étonnant dès lors que l’on estime que le gouvernement n’agit pas suffisamment pour protéger les Français de la hausse du coût de la vie. La reconduction du bouclier énergétique en 2023 ne semble pas suffire à 64 % des Français pour qui l’action gouvernementale est insuffisante.

Un enseignement d’autant plus éclairant lorsqu’il est mis en regard avec le rapport qu’entretient l’opinion, en temps de crise sociale, avec la solidarité envers les Ukrainiens : pour 44 % des Français, ces efforts « ne devraient pas être demandés aux Français, c’est aux autres pays d’un payer le coût financier ». Une position d’autant plus affirmée chez les sympathisants de droite et d’extrême-droite et en retrait chez les sympathisants de gauche et de la majorité, même si elle demeure partagée par un tiers des sympathisants de gauche.

L’enjeu majeur du consentement à l’effort

C’est ainsi une interrogation sur le consentement à l’effort qui apparaît et s’interpose dans le cumul des crises. Le cumul de ces responsabilités, que l’opinion voit partagées, et l’absence de légitimité des efforts de la part de la population font anticiper des mouvements sociaux pour l’hiver qui arrive :

  • 79 % des Français estiment ainsi que l’inflation, la hausse du coût de la vie et de l’énergie entrainera des mouvements sociaux d’ampleur dans la rue cet hiver.

A la situation économique et sociale du moment s’ajoutent ainsi des problématiques qui s’amoncellent, au cœur de celles-ci apparaissant des questions de consentement au sacrifice et de responsabilités qui préfigurent des temps durs où un terreau de ressentiment risque d’accompagner l’urgence du quotidien.

Adrien Broche
Consultant opinion

 

 

Par :
Adrien Broche
Lola Lusteau
François Miquet-Marty

 

Publié le 19/10/2022

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