L’opinion et la réforme des retraites
Une majorité en péril malgré un mouvement social à l’évolution incertaine
Au cœur d’une séquence attendue depuis la fin de l’été et déjà marquée par la crise du pouvoir d’achat et de l’énergie, le débat sur la réforme des retraites et la constitution d’un mouvement social massif viennent s’ajouter aux anxiétés déjà présentes sans s’y substituer. Prendre le pouls de l’opinion dans un « moment social » particulièrement électrique : ici s’inscrit l’enjeu du nouveau baromètre politique Viavoice pour Libération.
Popularités : le couple exécutif accuse le coup dans l’opinion
Premier enseignement de la nouvelle livraison du baromètre politique Viavoice – Libération, le couple exécutif perd du terrain de popularité dans l’opinion.
Emmanuel Macron accuse une baisse de 7 points de popularité et recueille 26 % d’opinion positive, passant ainsi sous la barre des 30 % pour la première fois depuis le mois de février 2020 et les mouvements d’opposition au premier projet de réforme structurel des retraites. Plus tôt encore, le président de la République avait oscillé entre 23 % et 28 % d’opinion positive entre octobre 2018 et avril 2019, moment marqué par le mouvement des Gilets jaunes. Emmanuel Macron perd notamment 12 points chez les sympathisants de gauche et en gagne 3 auprès des sympathisants de droite, signe des concessions obtenues par la droite sur le contenu du texte (64 ans, pensions minimum relevées, départ anticipé pour ceux qui ont commencé à travailler à 20 ans). Plus parlant encore, signal inquiétant pour la majorité, Emmanuel Macron perd 10 points d’opinion positive auprès des sympathisants de la majorité, 15 points auprès des cadres et 7 auprès des retraités, ces derniers pourtant largement favorables à la réforme.
Ce sont le symbole d’une double fracture. D’abord, celle du décalage entre un texte perçu comme un texte d’ajustement, en rupture frontale avec les ambitions de transformation profondes et structurelles qu’incarnait le macronisme naissant. Ensuite, une fracture – plus personnelle ici – qui est celle d’une contradiction entre des paroles et des actes, mettant à mal encore la promesse initiale de transformation des manières de faire la politique. Deux piliers sur lesquels reposaient à la fois la raison d’être du macronisme et la valeur ajoutée du deuxième quinquennat d’Emmanuel Macron, qui se trouvent ainsi fragilisées.
Même constat pour Elisabeth Borne : en première ligne de défense de la réforme des retraites, la Première ministre accuse une baisse de 7 points et recueille 23 % d’opinion positive, passant sous la barre des 25 % d’opinion positive pour la première fois depuis sa nomination à Matignon, renouant avec le plus bas score d’un Premier ministre d’Emmanuel Macron, soit 25 % de popularité d’Edouard Philippe au mois de novembre 2018. La Première ministre perd notamment 10 points auprès des sympathisants de gauche, 6 auprès de ceux de la droite et 9 auprès des sympathisants de la majorité.
Préoccupations et crédibilités : la question sociale au cœur des enjeux, la majorité en difficulté et léger regain de confiance à gauche
C’est un état d’alerte, une anxiété sociale générale qui marque l’état de l’opinion et pourrait dessiner les contours d’une cristallisation des appréhensions : alors que la question du pouvoir d’achat progresse de 3 points et représente une préoccupation importante pour 7 Français sur 10, l’enjeu des retraites fait un bon de 11 points depuis décembre 2022 et s’avère un enjeu prioritaire pour 42 % des Français.
S’agissant des crédibilités politiques et en ligne avec la chute de popularité du couple exécutif, les temps sont durs pour la majorité qui perd 5 points dans l’indice de confiance politique Viavoice – Libération et recueille la confiance de 15 % des Français en moyenne sur l’ensemble des thématiques de préoccupation. La NUPES progresse quant à elle de 2 points quand les Républicains reculent de 2 points et le Rassemblement national conserve la 1re place avec un taux de confiance de 22 %.
S’agissant de la thématique spécifique des retraites qui fait un bon de 11 points dans l’opinion, la confiance va d’abord au Rassemblement national, crédible sur ce sujet aux yeux de 19 % de l’opinion, formation politique talonnée par la NUPES qui progresse de 2 points (17 % de crédibilité) puis la majorité (13 %, – 2 points). La marche est fermée par les Républicains, dont la position stratégique dans le rapport de force parlementaire ne se traduit pas dans l’opinion (6 % de confiance, – 3 points).
Réforme des retraites et mouvement social : un soutien majoritaire malgré un avenir incertain et une efficacité perçue teintée de doutes
Alors que 42 % des Français se déclaraient prêts à manifester contre la réforme des retraites avant les fêtes de fin d’année (baromètre politique Viavoice pour Libération, 15 décembre 2022), l’opinion n’opine toujours pas :
- Une majorité de Français juge qu’il n’est pas nécessaire de mener la réforme des retraites que propose le gouvernement, dont 4 personnes sur 10 qui considèrent même qu’il n’est « pas du tout nécessaire » de la mener. Plus spécifiquement, 68 % des catégories populaires (ouvriers et employés) pensent qu’il n’est pas nécessaire de mener cette réforme, ainsi qu’une majorité de cadres (57 %). Seuls les 65 ans et plus la pensent nécessaire, à une courte majorité (53 %).
- Autre élément soulignant la frilosité de l’opinion vis-à-vis du projet de réforme des retraites, 65 % des Français se déclarent en désaccord avec la présentation faite par le gouvernement d’un texte « de justice, d’équilibre et de progrès ». Symbole de la difficulté à faire entendre ces arguments, près d’un tiers des électeurs d’Emmanuel Macron en 2022 (31 %) et un quart des sympathisants de la majorité se disent en désaccord avec cette affirmation.
Une majorité de Français se déclare néanmoins inquiète concernant l’avenir du système de retraites par répartition, près de 6 Français sur 10 (57 %) l’estimant menacé. La manière de faire ne semble ainsi par convenir à une opinion inquiète de l’avenir d’un système que le gouvernement entend sauver.
63 % des Français s’estiment ainsi solidaires du mouvement social actuel, dont une part significative qui le soutient « à distance » : 16 % y ont participé et près d’un Français sur deux déclare le soutenir « sans y avoir participé » (47 %). C’est dans l’électorat de Marine Le Pen que cette différence apparaît la plus significative : 17 % de ses électeurs ayant participé aux mouvements (contre 35 % de ceux de Jean-Luc Mélenchon) et 58 % soutenant le mouvement social sans y avoir participé. Mouvement symbolique d’un moment d’anxiété sociale générale, c’est autant contre le projet de réforme des retraites en lui-même (55 %) que contre l’augmentation du coût de la vie de manière générale (55 %) que se structure le soutien au mouvement social.
En conséquence, près de 7 Français sur 10 (68 %) estiment que le gouvernement doit entendre la rue et reculer face à ce projet de réforme, dont le débat qu’il entraine n’apparait pas à la hauteur sur le sujet de la pénibilité de certains métiers (pour 55 % de l’opinion). Si 68 % souhaitent le recul du gouvernement, seuls 41 % des Français estiment crédible ce recul suite au mouvement social, soit une différence de 27 points : un élément central de l’opinion qui pourrait nuire à une motivation indispensable à la réussite des mobilisations.
Les Français se montrent par ailleurs partagés sur l’évolution souhaitée du mouvement : 43 % souhaitent qu’il mobilise un nouveau mouvement des Gilets jaunes (dont 62 % et 63 % des électeurs de Marine Le Pen et de Jean-Luc Mélenchon) quand 45 % souhaitent l’inverse. La perspective d’éventuels blocages massifs divise l’opinion quant à leur efficacité : 43 % estiment que cela nuirait au mouvement social quand 41 % déclare que cela le renforcerait.
Face à un projet de réforme insuffisant pour ceux qui en espéraient davantage et excessif pour ceux qui considèrent qu’il va déjà trop loin, le scepticisme, au mieux, et l’hostilité, au pire, de l’opinion à son égard sont établis. Pour autant, les questions sur l’avenir du mouvement social et sa vocation à être efficace se profilent déjà. C’est néanmoins à l’Assemblée nationale que ce débat, qui réactive un clivage gauche-droite aux yeux d’un Français sur deux (49 %), peut prendre son intérêt principal, celui d’expliciter le rapport de force politique dans l’hémicycle et la viabilité, à terme et pour les années restantes, d’une majorité présidentielle fragilisée.
Adrien Broche
Responsable des études politiques et publiées