À quelques jours du scrutin régional et à moins d’un an de l’élection présidentielle, l’enjeu de la participation est plus que jamais central. Le fait serait entendu : les Français témoigneraient d’une véritable méfiance, voire d’une certaine défiance, vis-à-vis de la Politique : de son action et de son personnel. Désabusés, les Français s’éloigneraient des urnes témoignant d’une réelle indifférence aux prochaines échéances électorales.
Selon cette nouvelle livraison du baromètre politique Viavoice pour Libération, 63 % des Français déclarent voter à chaque élection, un score encore majoritaire mais loin de représenter l’intégralité du corpus d’électeurs. Dès lors, le niveau d’abstention réel ou anticipé des différents scrutins constitue dorénavant un élément d’analyse central des résultats électoraux. Plusieurs questions se posent alors : quels sont les ressorts de l’abstention en France ? Cette menace, qui plane à chaque scrutin, apparaît-elle comme une préoccupation pour les Français ? De quoi finalement l’abstention est-elle l’expression pour ce peuple ?
Loin de cette idée spontanée d’un rejet global de la politique, les résultats de cette étude Viavoice – Libération révèlent que le puissant courant abstentionniste se nourrit, pour une large part, d’une inadéquation entre les offres politiques actuelles et les Français. Un diagnostic qui peut appeler, en retour, l’éruption de reconfigurations.
Les résultats de l’enquête d’opinion menée par Viavoice pour Libération viennent affiner la compréhension du phénomène de l’abstention et confirment qu’au-delà du malaise démocratique apparent, l’espace politique reste ouvert pour les Français
Abstention ou malaise démocratique : « le cri d’alerte »
Premier élément saillant de l’étude, 65 % des Français déclarent comprendre le choix des Français qui décident de s’abstenir, dont 34 % se disent même être « de plus en plus d’accord avec eux ». L’alerte d’une apathie démocratique reconnue, voire revendiquée, raisonne dans l’opinion et s’installe peu à peu.
Cette distance prise avec l’exercice démocratique trouve sa source à plusieurs niveaux :
– D’abord, un intérêt pour la politique qui ne progresse pas voire qui diminue puisque 39 % des Français affirment que leur intérêt pour le débat public est resté le même ces dernières années et 28 % assurent même qu’il a diminué. Seuls 12 % témoignent d’un intérêt grandissant pour le débat politique ;
– Mais cette abstention se réclame surtout d’un malaise démocratique qui s’exprime fortement dans l’opinion, en témoignent les 55 % des Français qui considèrent que la démocratie fonctionne mal, parmi lesquels 17 % estiment qu’elle fonctionne même « très mal » ;
– Puis, c’est dans une crise de la représentativité que s’analysent ses tendances, au regard notamment des 68 % des Français qui trouvent que leurs intérêts personnels et leurs idées sont mal représentés par leurs élus et dirigeants politiques. C’est là un enseignement majeur qui renseigne sur l’état de l’alignement des intérêts entre représentants et représentés, qui nourrit largement l’explication du déficit de confiance.
Ainsi, l’abstention se nourrit indéniablement d’un véritable essoufflement démocratique, portée à la fois par une incapacité du personnel politique à représenter, à incarner, les intérêts et les idées des Français qui ne se reconnaissent plus dans le système démocratique actuel.
Abstention mais aucune désertion de la politique par les Français
Si les indicateurs précédemment évoqués témoignent d’une vie démocratique qui accuse le coup, c’est aussi les contours d’un espoir pour la vie démocratique que dessinent les résultats de l’étude.
– D’abord, force est de constater que l’abstention est un symptôme d’un malaise exprimé, un cri d’alerte : face à l’abstention, les Français ne s’abstiennent pas puisque pour 80 % des Français elle représente une préoccupation, parmi eux 38 % déclarent même être « tout à fait » préoccupés par le niveau d’abstention en France ;
– Loin de délaisser la politique, les Français en déplorent avant tout son fonctionnement, son incarnation, son personnel qui nuisent selon eux à la confiance dans le système démocratique. A ce titre, l’abstention ne s’explique pas tant par une volonté de « manifester un mécontentement à l’égard des politiques » ou de déplorer leur impuissance à changer les choses que par une incapacité des candidats et de leurs projets à répondre aux attentes des Français ;
– Car les Français restent ce peuple politisé, parmi les éléments expliquant le choix de ne pas aller voter, le manque d’intérêt pour la politique (16 %) et l’absence de pouvoir des élus et dirigeants politiques à changer les choses dans la société (19 %) ne sont respectivement les 7ème et 6ème raisons évoquées.
– D’ailleurs, en dépit d’un duel annoncé par les différentes études d’opinion entre le président de la République et la présidente du Rassemblement national pour le second tour de l’élection présidentielle, à 10 mois du scrutin, pour 65 % « rien n’est encore joué ».
Ainsi, c’est d’abord l’inadéquation des candidats et de leurs projets vis-à-vis des attentes des Français qui constitue, aux yeux de l’opinion, l’élément principal d’explication du niveau d’abstention. Si cet enseignement s’avère préoccupant du point de vue de la capacité du personnel politique à comprendre les attentes des citoyens, il rassure quant à la nature du malaise exprimé : ce sont d’abord les offres politiques et programmatiques qui sont en cause.
Interrogés sur les sujets dont ils aimeraient que l’on parle davantage dans le débat public, ce sont des thèmes pourtant déjà largement abordés par le personnel politique qui semblent être plébiscités : la sécurité (40 %), l’immigration (30 %) et le pouvoir d’achat (30 %) occupent le podium.
C’est donc bien de l’appréhension des enjeux, de leur traduction en solutions dont il est question lorsque l’on analyse le phénomène d’abstention. Loin de créditer l’idée selon laquelle les Français auraient déserter le champ politique, les électeurs en appellent au sursaut de la politique sans quoi le sursaut démocratique ne saurait avoir lieu.