Politique

Le baromètre politique Viavoice / Libération : Présidentielle 2022 : la nouvelle donne politique face aux fractures françaises

Sous la perception « Emmanuel Macron, seul contre personne », une France à la recherche d’une nouvelle conception de l’alternance

C’est un étrange climat politique. Aujourd’hui, à huit mois de la présidentielle, en fin de quinquennat, les universités d’été des partis politiques se déroulent dans une relative discrétion et chaque camp détracteur du président sortant, semble encore chercher la voie, que ce soit en termes de candidats, de modalités de désignations, ou d’orientations stratégiques.

Quelle est la nature de cette singulière actualité ? Cette nouvelle livraison du baromètre politique Viavoice – Libération révèle un enseignement majeur : sous les débats essentiels relatifs aux candidats, aux primaires ou aux orientations, c’est plus fondamentalement l’idée même d’alternance dont les contours ne s’imposent pas naturellement. Et cette France en quête de l’idée d’alternance est, pour une large part, la traduction du quinquennat qui s’achève.

Cette présidentielle 2022 est une innovation politique radicale. Structurée par le champ politique installé en 2017, elle est sans commune mesure avec les présidentielles classiques, celles de la bipolarité qui opposaient au « camp sortant » la possibilité d’une alternance en faveur du camp adverse, presque naturellement désigné pour cela.

L’image concernant Emmanuel Macron : une vision « technicienne » sans grande désirabilité

La première singularité ne tient pas uniquement à la position politique hybride d’Emmanuel Macron sur l’échiquier politique. Plus fondamentalement, une large part de Français accorde au président de la République un crédit de compétence technicienne ou professionnelle ; ce crédit ne suscite pas de désirabilité forte, mais stabilise une base de soutiens.

Le président de la République ne crée pas de désirabilité notable dans l’opinion en vue de la prochaine présidentielle :

–  Seuls 32 % des Français souhaitent qu’il soit candidat contre 59 % qui souhaiteraient qu’il ne se représente pas ;

– Et près d’un Français sur deux refuse d’anticiper sa victoire en avril 2022.

Ces scores livrent un constat de défiance global vis-à-vis du chef de l’Etat. La majorité des Français interroge sa capacité à être réélu et à apporter de nouvelles idées.

Et c’est surtout le lien avec les citoyens qui est perçu comme distendu, alimentant l’idée d’un président « hors sol » et éloigné des Français : 67 % estiment qu’Emmanuel Macron n’est pas proche des gens et 71 % qu’il ne représente pas les gens comme eux. Le président de la République n’aura donc pas su détacher son image d’une Présidence « technicienne », presque désincarnée.

Et de fait, le chef de l’Etat capitalise surtout sur son image de compétence : si le bilan du Président sortant reste majoritairement contesté, sur un ensemble de sujets, plus d’un tiers des Français juge son action positivement : 40 % des Français estiment que sur l’économie le bilan d’Emmanuel Macron est positif, 39 % sur la santé, 37 % sur la protection sociale et l’emploi ; des scores sur ces sujets qui oscillent entre 68 et 71 % auprès des électeurs d’Emmanuel Macron en 2017.

Et 51 % des Français considèrent qu’il dirigerait mieux la France que Jean-Luc Mélenchon, 50 % qu’il ferait mieux que Marine Le Pen, 45 % qu’Anne Hidalgo, 41 % que Yannick Jadot. Seules les deux personnalités de droite, Xavier Bertrand et Valérie Pécresse peuvent aujourd’hui semer le doute, venant ainsi conforter l’idée d’une menace en provenance de son aile droite, territoire d’opinion logiquement prisé pour cette fin de quinquennat.

Ce registre de la « compétence » est intéressant parce qu’il autorise des soutiens en faveur du président de la République au détriment de ses compétiteurs potentiels, et parce qu’il installe une grille de lecture qui atténue les visions idéologiques ou les clivages purement politiques.

ur cette vision d’opinion, le président de la République stabilise une base de soutiens. Ce socle fidèle représente un tiers de la population française et l’analyse de sa composition indique que la sociologie de l’électorat macroniste a peu évolué :

– Une surreprésentation des cadres qui souhaitent qu’il soit candidat en 2022 (39 %) ;

– Une adhésion forte des retraités dont 43 % souhaitent le voir à nouveau candidat.

Sa base lui reste tout aussi fidèle : 88 % des sympathisants LREM souhaitent qu’il soit candidat à la prochaine élection présidentielle ainsi que 70 % de ceux qui ont voté pour lui au premier tour de la présidentielle de 2017.

Emmanuel Macron : un centre de gravité et des soutiens à droite, qui défie l’idée d’alternance

La deuxième singularité « structurelle » qui contrevient à l’idée classique d’alternance est l’ancrage politique d’Emmanuel Macron auprès d’une partie des camps historiques, et singulièrement de la droite :

– Concrètement, 43 % des électeurs de François Fillon souhaitent qu’Emmanuel Macron se représente ; 52 % anticipent même sa victoire en 2022 malgré l’entrée en lice de Xavier Bertrand et Valérie Pécresse ;

– D’ailleurs, 38 % des sympathisants de droite estiment qu’Emmanuel Macron dirigerait mieux la France que Valérie Pécresse, 34 % que Xavier Bertrand …

Plus encore, sur le bilan, le Président sortant parvient à convaincre plus d’un électeur de François Fillon sur deux en ce qui concerne l’économie, la santé, la protection sociale et l’emploi.

Ces dynamiques sont essentielles en vue de la prochaine séquence électorale, parce qu’elles dessinent la complexité d’une alternance éventuelle à droite, sur un paysage électoral semé d’hybridations. Elles disent beaucoup du visage du quinquennat Macron et orientent, éventuellement, la stratégie des impétrants de droite.

Réinventer l’idée d’alternance, ou les nécessités d’une triple révélation

A huit mois du scrutin, la grammaire de cette élection, de ses capacités de mobilisation et surtout de rapports de forces paraît encore mal établie. Pour structurer ce rapport de forces démocratique, appelé à s’épanouir au cours de la campagne présidentielle, trois registres apparaissent importants :

– Certes, l’identité des candidates et des candidats, le choix des modalités de désignation, et les orientations stratégiques ;

– Mais également la mise en évidence de personnalités perçues comme « naturellement » concurrentes en vue de la présidentielle ; la faiblesse et le relatif discrédit des organisations partisanes, l’instabilité des candidatures d’un scrutin à l’autre, les mises en questions des modes de désignation, tout cela interroge de manière inédite la légitimité des prétendants ;

– Surtout, nourrir un désir clair d’alternance. Car il y a loin de la déception, voire de la dénonciation ou du rejet envers l’exécutif, à la construction d’un désir d’alternance en faveur de telle ou telle sensibilité politique en particulier, et le champion d’une sensibilité dans le rôle de l’alternative. Dans toute l’histoire de la Cinquième République, en situation bipolaire, le désir d’alternance se cristallisait, pour partie de manière spontanée, sur une opposition considérée comme « naturelle ». Cette évidence est aujourd’hui à construire.

Dans ces circonstances, la redéfinition du débat d’idées et l’impulsion de dynamiques électorales joueront des rôles majeurs. Telle est précisément la vocation d’une campagne électorale.

Par :
Stewart Chau
Adrien Broche
François Miquet-Marty
Publié le 06/09/2021

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