Le Gender gap dans les sciences et dans les technologies
Un décalage dès l’école puis dans le milieu professionnel, mais des perspectives d’amélioration
Des préférences scolaires genrées qui apparaissent dès le plus jeune âge et qui s’accentuent au fil de la scolarité
Les préférences genrées vis-à-vis des disciplines scolaires apparaissent dès l’école primaire, d’abord comme une inclinaison, et s’amplifient dans la suite du parcours scolaire. Sans surprise, les hommes se tournent davantage vers les disciplines scientifiques quand les femmes leur préfèrent les disciplines littéraires :
- Un tiers des hommes actifs (33 %) déclarent qu’ils préféraient déjà les disciplines scientifiques lorsqu’ils étaient à l’école primaire, 27 % d’entre eux préféraient les disciplines littéraires ;
- Les femmes penchaient quant à elles davantage pour les matières littéraires (37 %), mais sont également 35 % à ne pas avoir eu de préférence. Il est plus rare qu’elles aient préféré les sciences (20 % des femmes interrogées).
- C’est en poursuivant leur scolarité que les profils se spécialisent davantage et que les dynamiques s’intensifient : l’intérêt des femmes pour les matières littéraires s’accentuent (elles sont préférées au collège et au lycée par plus de 40 % d’entre elles), tout comme celui des hommes actifs pour les matières scientifiques, dans les mêmes proportions.
Mais une préférence pour les sciences qui progresse parallèlement chez les femmes au collège et au lycée :
- L’intérêt des femmes pour les sciences progresse au collège et au lycée : elles sont 30 % à préférer les sciences contre 20 % en primaire (+ 10 points). Une dynamique qui pourrait être amenée à prendre encore de l’ampleur, puisque les femmes actives de moins de 35 ans expriment une préférence pour les sciences plus importante que la moyenne à tous les niveaux scolaires.
- Les hommes, eux, continuent de se tenir éloignés des disciplines littéraires : ils restent plus ou moins un quart à indiquer que c’était leur préférence en primaire, au collège et au lycée.
La reconnaissance sociale associée à l’apprentissage et la réussite dans ces disciplines peut être une clé de lecture du regain d’intérêt des femmes pour les sciences et du manque d’engouement des hommes pour les lettres au cours de la scolarité, compte tenu de l’importance des disciplines scientifiques dans le processus de sélection scolaire et de leur prestige dans la société française. Les femmes peuvent se tourner vers les disciplines scientifiques dans le but de suivre une trajectoire scolaire reconnue socialement et sur le marché du travail. Au contraire, les disciplines littéraires, considérées comme des filières peu prestigieuses, n’attirent pas les hommes.
Des préférences qui se traduisent logiquement dans leur perception de leur niveau en sciences à l’école : 79 % des hommes déclarent qu’ils avaient un bon niveau en sciences à l’école contre 66 % des femmes, soit un écart de 13 points. Elément intéressant : les jeunes générations, dont les souvenirs de scolarité sont plus frais, prennent ces éléments de jugement à contrepied. Les femmes d’entre 18 et 29 ans autoévaluent leur niveau en sciences à l’école à un niveau proche de celui des hommes (73 % d’entre elles estiment avoir eu un bon niveau en sciences à l’école contre 75 % pour les jeunes hommes).
Concernant leur niveau en sciences actuel, l’écart tend là aussi à se réduire. De quoi laisser entrevoir des évolutions de perceptions dans les générations de jeunes femmes et de jeunes hommes : si les femmes âgées de 18-24 ans s’autoévaluent à un score plus élevé que la moyenne (65 % contre 64 %), c’est le contraire s’agissant des hommes de la même tranche d’âge (66 % contre 73 %).
L’orientation : une question de genre mais également de milieu social
Parmi les actifs, les hommes déclarent avoir été davantage influencés dans leur choix d’orientation par des membres de leur entourage proche : on note un écart de 5 points sur l’influence familiale par rapport aux femmes et de 7 points concernant l’influence des amis/camarades de classe.
Une influence de l’ensemble des acteurs qui apparait plus forte également pour les personnes favorisées socialement (notamment les cadres et celles et ceux qui ont suivi un bac à dominante scientifique). Des résultats qui viennent ainsi illustrer le surinvestissement des sphères familiales et extrafamiliales dans les trajectoires scolaires de « ceux qui réussissent ».
L’innovation et les technologies : un « gender gap » qui laisse également transparaitre un « class gap »
7 hommes actifs sur 10 se déclarent bien informés sur l’innovation et les nouvelles technologies. Le niveau d’information perçu des femmes est beaucoup plus modeste ou moins mis en avant puisqu’une courte majorité d’entre elles (53 %) se déclarent bien informées sur ces sujets, soit un écart de 16 points entre les niveaux d’information féminins et masculins.
Mais si le niveau de familiarité avec l’innovation et les nouvelles technologies dépend du genre, il dépend également de la catégorie socio-professionnelle des individus :
- Les catégories favorisées attestent d’un niveau d’information élevé sur le sujet, qui atteint 81 % (+ 12 par rapport à la moyenne) chez les hommes cadres et 59 % (+ 6 par rapport à la moyenne féminine) chez les femmes du même statut.
- Les catégories sociales défavorisées marquent eux des scores plus bas que la moyenne : chez les hommes, ils sont 65 % (- 4 points) à se considérer informés et 49 % s’agissant des employées, ouvrières (- 4 points par rapport à la moyenne).
Au gender gap se superpose ainsi un « class gap » très prononcé. Non seulement les femmes expriment des perceptions en retrait concernant leur niveau d’information sur l’innovation et les nouvelles technologies, mais c’est également le cas des personnes appartenant aux classes sociales modestes. Les femmes issues des classes défavorisées sont alors identifiées comme un public qui décroche sur ces questions.
Le « gender gap » se poursuit dans le contexte professionnel
En découle assez logiquement une meilleure projection masculine pour travailler dans un secteur d’avenir lié aux nouvelles technologies (numérique, intelligence artificielle…), à hauteur d’un homme sur deux (49 %). Un score qui chute de 19 points auprès des femmes : elles ne sont que 30 % à se considérer prêtes à travailler dans ce périmètre, la très probable surreprésentation actuelle des hommes dans ce secteur devant également être considérée dans l’interprétation de ces résultats.
Ce manque de projection du côté des femmes n’est pas synonyme de manque d’intérêt puisque la majorité d’entre elles (55 %) seraient pourtant intéressées pour suivre des formations visant à acquérir de nouvelles compétences liées aux nouvelles technologies.
S’agissement des fonctions de management, elles apparaissent plus difficiles à exercer pour les femmes managers à hauteur de 63 % d’entre elles contre 41 % pour les hommes (écart de pas moins de 22 points). Pour les non-managers, une appétence pour le management sensiblement différente entre hommes et femmes : 36 % des femmes concernées se projettent dans cette fonction contre 40 % des hommes.
L’avènement de l’intelligence artificielle et des nouvelles technologies, une menace plutôt du temps long
Enseignement marquant de l’étude, pour près de 70 % des hommes et des femmes actifs, l’avènement de l’intelligence artificielle et des nouvelles technologies ne sont pas considérées comme une menace aujourd’hui dans l’exercice de leur métier actuel.
Le niveau d’inquiétude augmente dès lors que l’on se projette, signe d’une menace perçue mais dont les effets ne sont pas encore tangibles. Une proportion plus forte de femmes se sentent menacées dans l’exercice de leur métier actuel pour l’avenir : 38 % contre 32 % des hommes. Logiquement, les perceptions varient encore selon la catégorie socio-professionnelle :
- Parmi les hommes, ce sont les cadres qui se sentent les plus menacés par l’avènement de l’intelligence artificielle et des nouvelles technologies, pour 38 % d’entre eux (+ 6 points au-dessus de la moyenne et + 5 points par rapport aux femmes cadres).
- Alors que parmi les femmes, la menace pèse davantage pour les employées et ouvrières, pour 41 % d’entre elles (+ 3 points au-dessus de la moyenne et + 10 points par rapport aux hommes de la même catégorie sociale).
La population active identifie l’information et la communication comme le premier secteur qui sera à l’avenir menacé par l’avènement de l’intelligence artificielle et des nouvelles technologies, un secteur dit féminisé, où la proportion des femmes est importante. Une majorité juge également que l’industrie culturelle et celle du divertissement sera concerné. En plus de se déclarer plus menacées par l’accélération de la digitalisation, les femmes actives pourraient ainsi y être davantage exposées.
Adrien Broche, Responsable des études politiques
Lola Lusteau, Chargée d’études sénior
François Miquet-Marty, Président