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Le futur qu’on nous vend

À écouter les Gafa, ces géants du web issus de la Silicon Valley, notre futur serait entièrement digitalisé et dématérialisé, mondialisé et ubérisé. Pour Ray Kurzweil par exemple (directeur de l’ingénierie chez Google), la fin des bureaux physiques surviendra dans les années 2020, en vertu de l’idée selon laquelle les lieux physiques seront dépassés à l’heure du digital. Pourtant, d’après une étude d’opinion (1) menée auprès de 1000 salariés, moins de la moitié d’entre eux (47 %) souhaitent que l’entreprise soit à l’avenir totalement dématérialisée (sans locaux fixes, le salarié travaillant là où il le souhaite), et ce, quel que soit l’âge des répondants.

Ainsi, ces prédictions sur l’avenir ne correspondent pas aux attentes actuelles. D’ailleurs, si les innovations technologiques transforment bien l’ensemble de notre société dont notre organisation du travail, il n’est pas assuré que celle-ci sera totalement technologique et robotisée.

Une image très “siliconienne” du futur

Pour quelles raisons, alors, l’un des gourous des hautes technologies californiennes envisage-t-il un futur dématérialisé? En raison d’une convergence de vues, compréhensible, entre les anticipations publiées par Google et les stratégies business et financières de ce groupe. En préemptant notre imaginaire sur ce que doit être l’avenir, les “futurologues” de la Silicon Valley installent petit à petit une idée préconçue selon laquelle le futur sera inéluctablement ultra-technologique, entièrement dématérialisé et robotisé. Sans doute parce que Google, tout comme Amazon et Facebook, a investi plusieurs milliards de dollars dans la réalité virtuelle. Mark Zuckerberg a acquis le fabricant Oculus pour 2 milliards de dollars en 2014, et Google a investi 542 millions de dollars dans la start-up de réalité augmentée Magic Leap.

Ces intérêts sous-tendent les idéaux présentés comme tels par Ray Kurzweil: les entreprises n’auraient plus de lieux physiques et favoriseraient le télétravail. Il serait même possible de réaliser des réunions à distance grâce aux casques de réalité virtuelle, d’autant plus que le marché de la réalité virtuelle devrait atteindre 30 milliards de dollars en 2020.

Prédire le futur: une nouvelle bataille culturelle

Mais cet imaginaire d’un avenir dématérialisé, numérisé et fonctionnant en réseau est essentiellement une vision défendue par des acteurs particuliers, en grande partie constitués de grandes entreprises pour lesquelles le décloisonnement des services, la fluidité de l’information en interne et la présence de bureaux physiques engendrent des coûts importants. Voilà pourquoi ce sont davantage les grandes entreprises de plus de 500 salariés (en Californie comme en France) qui promeuvent ce modèle du futur. L’étude d’opinion Viavoice pour Sycomore démontre que la “dématérialisation” de l’entreprise n’est pas un souhait pour la moitié des salariés qui nécessitent de travailler dans des locaux fixes. Le design, l’espace et l’esthétisme des bureaux sont d’ailleurs des éléments importants dans un monde idéal de ce que doit être l’entreprise de demain.

Par ailleurs, il apparaît difficile pour certains secteurs de se “dématérialiser”; tel est le cas des entreprises du BTP dont les principaux clients se situent dans une zone géographique de proximité. En revanche, ceux qui sont convaincus de la “dématérialisation” sont la nouvelle génération présente sur le marché du travail (les 18-24 ans) nourrie au numérique, les cadres dirigeants (CSP+) ainsi que les sociétés de service.

Les chiffres démontrent qu’il s’agit en réalité d’un phénomène urbain, porté par les grandes entreprises et une partie de la jeunesse. Car, en réalité, dans leur globalité, les jeunes préfèrent travailler dans une entreprise aux locaux fixes. Une étude (2) récente réalisée auprès de 1000 personnes âgées de 18 à 30 ans, établit que 60 % des personnes interrogées préfèrent travailler dans une entreprise, et seules 33 % souhaitent travailler à distance (dont 26 % à domicile).

Quel modèle de société pour demain?

Parmi les grandes tendances d’avenir qui se dessinent, si l’on constate effectivement plus de digitalisation ou de robotisation, on observe également qu’à l’heure de la mondialisation, les personnes ont plus que jamais besoin de proximité, la seule capable d’établir un lien de confiance entre nous et les entreprises globalisées ou les institutions. Ainsi, loin des technologies, c’est avant tout l’humain qui est plébiscité. Les études les plus récentes révèlent que salariés comme dirigeants insistent sur l’indispensable prise en compte de l’humain dans l’entreprise de demain.

Dans un monde idéal, les salariés souhaiteraient en priorité une entreprise qui soit à taille humaine (3), à l’écoute des salariés et de leur bien-être. Pour attirer les talents, les entreprises devront développer le “care”, être utiles à la société dans son ensemble (85 %) et s’engager au service de l’éthique (82 %)… Elles devront aussi bien accorder de l’importance aux droits de l’Homme qu’aux sujets environnementaux.

Avec une économie aussi importante que celle des plus grands pays (en 2013, les Gafa ont généré un revenu de 316 milliards de dollars avec seulement 252 000 employés, c’est autant que le Danemark avec plus de 2,6 millions d’employés), ces entreprises américaines ont autant d’influence qu’un État. Si le modèle américain promeut un futur numérique et technologique, quel serait le modèle européen pour demain? Force est de croire que notre modèle se dessine autour d’une entreprise qui endosserait une part croissante du rôle des institutions dans la défense de l’intérêt général. Toutes nos études démontrent en France une réelle pression de la part de l’opinion, une aspiration des Français pour une entreprise davantage engagée sur les questions de société.

  1. Étude Viavoice pour Sycomore, « Baromètre d’opinion annuel », 2017, réalisée auprès de 1013 salariés d’entreprises de 50 salariés et plus, ainsi que 300 dirigeants d’entreprises de 50 salariés et plus.
  2. Étude Viavoice pour Manpower Group, « Les jeunes de 18 à 30 ans face à un travail en mutation », Mai 2017, réalisée auprès de 1003 personnes, représentatif de la population des jeunes de 18 à 30 ans résidant en France métropolitaine.
  3. Étude Viavoice pour Sycomore, « Baromètre d’opinion annuel », 2017, réalisée auprès de 1013 salariés d’entreprises de 50 salariés et plus, ainsi que 300 dirigeants d’entreprises de 50 salariés et plus.

Ce texte est issu du livre Le pari de l’avenir – Manifeste pour la prospective, paru aux éditions Fauves

Article publié sur le Huffington Post, pour lire l’original : Cliquer sur ce lien

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