Souvent, la jeunesse au travail est représentée par un même ensemble homogène, ayant valeur de concept : « génération Y ou Z », « digital natives », « Millennials »… Ces termes très englobants permettent d’évoquer une réalité croissante dans les entreprises : l’irruption d’une génération porteur de nouvelles attentes au travail, et souhaitant accélérer un certain nombre de mutations :
– Nouvelles relations humaines, nouveaux modes d’organisation, nouvelles exigences également dans le rapport à la hiérarchie et à la prise de décision ;
– Intégration croissante des technologies numériques à tous les niveaux de réflexion, de production ou de prise de décision ;
– Priorité accordée à de nouveaux objectifs stratégiques : RSE et croissance inclusive, parité, diversité, conciliation entre vie professionnelle et vie personnelle, etc.
Parallèlement, des incompréhensions apparaissent entre générations : les jeunes au travail seraient insatisfaits, infidèles et impatients dans leur rapport à l’entreprise, privilégiant la satisfaction personnelle au détriment du collectif, ou encore inconscients des nouvelles réalités du marché du travail.
Notre étude, réalisée pour ManpowerGroup en partenariat avec Les Echos Start, montre une photographie plus diversifiée de cette jeunesse au travail :
– D’une part, les 18-30 ans ne sont pas insatisfaits : conscients des mutations actuelles, ils ne les voient pas nécessairement comme des obstacles à leur réussite ou leur épanouissement, même s’ils font part d’inquiétudes pour demain ;
– D’autre part, à l’inverse d’une vision parfois monolithique de « la jeunesse », notre étude montre une génération plurielle, n’ayant pas nécessairement les mêmes aspirations ou les mêmes exigences au travail.
Les 18-30 ans ne sont pas insatisfaits mais mettent en avant de nouvelles priorités : adaptabilité, mobilité, horizontalité et bien-être
Ainsi, en dépit des difficultés actuelles ou de certaines idées reçues, les jeunes de 18 à 30 ans ont une vision plutôt positive du travail :
– Pour 55 % d’entre eux, le travail représente une source d’épanouissement bien plus qu’une source de contraintes (33 %) ;
– Ils sont 40% à se montrer optimistes pour leur situation professionnelle et 32% « ni optimistes ni pessimistes » contre seulement 25 % de pessimistes.
À rebours d’une image désenchantée de la jeunesse, les 18-30 ans montrent donc une réelle volonté et un relatif optimisme face à un monde du travail pourtant difficile.
Cet optimisme, pourtant, n’est pas un aveuglement face aux mutations en cours, puisque pour 54 % d’entre eux « le travail n’aura plus rien à voir avec ce que l’on connaît aujourd’hui » d’ici 10 ans.
Plus que naïve ou désenchantée, cette jeunesse se montre plutôt volontaire : ces mutations étant inévitables, elles doivent être selon eux accompagnées plutôt que subies, en se plaçant eux-mêmes parmi les acteurs du changement.
Ainsi, à l’heure où les entreprises sont confrontées à des marchés de plus en plus innovants, 56 % des 18-30 ans privilégient des entreprises « évolutives, se remettant en question souvent ». Ils sont également 69 % à souhaiter un métier avec des missions qui évoluent, ou encore 61 % à préférer travailler en « organisation de projets », c’est-à-dire avec des équipes et des missions s’adaptant aux besoins (plutôt que des organigrammes et des postes trop rigides). Cette adaptation au changement apparaît donc tout autant souhaitée que subie, à travers la valorisation d’une organisation du travail horizontale plutôt que verticale.
Et cette « adaptabilité » ne s’arrête pas aux portes de l’entreprise. Elle est également un objectif de carrière, à travers une mobilité très largement souhaitée et valorisée : mobilité géographique, mais aussi changements de poste, d’entreprise, ou même de métier : 22 % d’entre eux souhaiteraient changer plusieurs fois d’entreprise au cours de leur vie, 24 % se mettre à leur compte et créer leur entreprise et 12 % aimeraient s’expatrier à l’étranger… Finalement, seuls un tiers d’entre eux (36 %) privilégient la stabilité, en restant dans une même entreprise pour garder leur emploi. Ainsi, cette génération a une « conception nouvelle » du travail par rapport à celle de leurs parents (un constat très largement partagé par 79 % d’entre eux). Pour eux, le travail doit procurer un épanouissement personnel, prioritaire par rapport à la volonté de faire carrière. Ils souhaitent aussi que l’équilibre vie professionnelle-vie privée soit prioritaire (à 47 %) pour ne pas reproduire le schéma des générations antérieures : « Ils ne font pas leur métier par passion mais ont su s’en accommoder, en attendant la retraite avec impatience pour s’accomplir personnellement. Aujourd’hui, en tant que jeunes, nous ne voulons pas attendre 62 ans pour nous accomplir, et nous cherchons à concilier cela avec le travail. » Ces priorités se retrouvent dans les valeurs que les jeunes souhaitent valoriser dans leur travail : la qualité (45%), l’écoute (43%) ou la reconnaissance (39 %), plutôt que l’autorité (4%), la fidélité (14 %) et l’effort (20 %).
Quatre types de jeunesses, quatre stratégies d’adaptation au changement
Au-delà de ces constats d’ensemble, et du fait que les jeunes de 18-30 ans sont très largement conscients des mutations, leurs « stratégies » pour faire face au changement et leurs aspirations pour l’avenir ne sont pas homogènes. Une typologie de cette jeunesse a été ainsi réalisée, mettant en avant quatre groupes distincts de 18-30 ans :
– Le premier groupe rassemble les plus « fragilisés » : plutôt issus de milieux populaires, intégrés au marché du travail mais souvent avec des emplois précaires et à faible niveau de responsabilité, ils voient davantage le travail comme source de contraintes. Tout aussi conscients des mutations que les autres (voire davantage), ils vont (face aux incertitudes économiques) être plutôt dans une recherche de stabilité en intégrant une entreprise où ils auront « un emploi pour longtemps », si possible dans une « entreprise stable » et à un poste avec « des missions bien définies ».
– Le second groupe est celui des « pragmatiques » : comme le premier groupe, ces jeunes vont privilégier « une entreprise stable, qui fonctionne avec des règles établies » voire « une grande entreprise ». Pour autant, leur priorité n’est pas tant la stabilité à tout prix que de bien gagner sa vie. C’est pourquoi même s’ils préfèrent travailler dans une grande structure, plutôt rassurante, ils peuvent voir l’uberisation comme une chance d’accéder à un métier valorisant.
– Le troisième groupe rassemble des « optimistes exigeants » : correspondant plus ou moins à l’archétype de cette génération Y (ou Z) conquérante et exigeante pour son avenir. Pour eux, les évolutions en cours comme l’uberisation ou la robotisation sont de formidables opportunités. À l’aise dans les nouvelles formes d’organisation du travail et très optimistes pour l’avenir, ils sont en revanche particulièrement exigeants envers l’entreprise : celle-ci doit intégrer des valeurs internes fortes, promouvoir l’écoute et l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. Ils pensent d’ailleurs que ce sera de plus en plus à l’entreprise de s’adapter aux salariés à l’avenir, et non l’inverse. Enfin, ils souhaitent également « donner un sens » à leur travail et sont perpétuellement en quête d’épanouissement personnel et de projets d’avenir. S’ils ne les trouvent pas dans l’entreprise, ils sont prêts à créer eux-mêmes leur activité, étant la catégorie la plus tentée par l’entrepreneuriat.
– Enfin, le quatrième et dernier groupe est celui des « optimistes flexibles » : comme le groupe précédent, ceux-ci valorisent fortement le changement et souhaitent intégrer une « entreprise évolutive », qui se remet en question souvent, et un métier avec des missions qui évoluent souvent selon les besoins. En revanche, les jeunes formant ce groupe vont davantage privilégier l’évolution de carrière, et seront donc moins regardant sur ce que leur propose leur employeur en terme de bien-être et d’épanouissement au travail. Ils souscrivent ainsi, comme le groupe des « fragilisés », à l’idée qu’un travail doit d’abord permettre de subvenir à ses besoins et ceux de sa famille. Dès lors, pour eux ce sera de plus en plus aux salariés, à l’avenir, de s’adapter aux besoins et aux attentes de l’entreprise, et non l’inverse.
Une jeunesse divisée sur son rapport au changement, mais aussi sur ses aspirations au travail
Ces quatre familles dessinent ainsi deux grands axes de compréhension de la jeunesse au travail aujourd’hui.
D’un côté, les deux premiers groupes sont dans une recherche de stabilité. Ils ne nient pas le changement, mais veulent construire leur îlot de stabilité professionnelle au sein d’un monde du travail perçu comme insécurisant. Pour atteindre ce but, ils souhaitent intégrer une structure « stable » (secteur public ou grande entreprise) dans laquelle ils resteront par la suite. Cet objectif est en soi une ambition, celle d’une « insertion professionnelle réelle » dans un monde du travail où ils ont pour certains d’entre eux surtout connus jusqu’ici des métiers plus précaires.
Les deux autres groupes, à l’inverse, sont des acteurs volontaires du changement, bien qu’ils n’y attachent pas la même ambition.
Pour le troisième groupe, celui des « optimistes exigeants », les mutations économiques sont l’occasion de créer, d’innover, de se lancer de nouveaux défis au sein d’une entreprise ou pour leur propre compte. Plus diplômés, à l’aise sur le marché du travail, ils ne craignent pas de changer souvent de poste ou d’entreprise. C’est pourquoi ils sont aussi plus exigeants avec leur employeur, notamment sur les conditions de travail.
Le quatrième groupe (« optimistes flexibles ») voit davantage dans le changement l’opportunité de faire carrière et de progresser dans l’entreprise. S’ils veulent une entreprise « évolutive », c’est pour mieux s’insérer professionnellement. Pour cette raison, ils s’adapteront plus facilement aux besoins de leur entreprise, et se montreront moins exigeants vis-à-vis de leur employeur.
Ces attentes de la jeunesse vis-à-vis du travail dessinent ainsi un « nouveau monde » en réalité. Un monde où l’enjeu ne sera plus la prise de conscience ou l’acceptation du changement, entre digitalisation, robotisation, uberisation ou mondialisation. Un monde où la question ne sera pas tant de savoir si l’on est « perdant » ou « gagnant » face à ces mutations. Un monde, finalement, où chaque individu élaborera, selon ses propres aspirations mais aussi ses possibilités et ses difficultés, sa propre stratégie pour s’insérer le mieux possible au sein d’une vie économique en perpétuelle réinvention.