Santé et interêt général

Un journalisme utile ?

Une large majorité de Français défendent l’utilité du journalisme et sa nécessité croissante pour demain

Le journalisme est-il toujours utile ? Ou – dit autrement – l’information journalistique et le métier de journaliste sont-ils devenus à contrecourant des tendances qui se dessinent pour demain ?

Certaines évolutions en cours pourraient le faire penser, qu’il s’agisse des difficultés de la presse, des enquêtes démontrant la méfiance croissante de l’opinion publique envers les médias, ou encore de l’émergence de nouveaux canaux d’information sans journalistes (blogs, réseaux sociaux, chaînes Youtube…), contribuant à brouiller les frontières entre journalisme et point de vue personnel, partisan, ou non vérifié.

Dans ce monde de demain où les individus, les personnalités ou les entreprises échangent et s’informent sans intermédiaire, où tout un chacun peut publier un article, un commentaire ou une vidéo en leur donnant un aspect journalistique, où les échanges et l’accès à l’information sont très largement facilités, on pourrait penser que le journalisme perdrait de son utilité pour le plus grand monde.

C’est pourtant un tout autre avenir que dessine notre étude : non seulement l’opinion publique défend très largement l’utilité du journalisme, mais surtout les Français mettent en avant l’idée que les évolutions technologiques et sociétales ne feront que renforcer son utilité à l’avenir.

  • « Les utilités » du journalisme défendues unanimement par l’opinion publique

Plus de neuf Français sur dix (92 %) considèrent le journalisme comme un « métier utile ». Un unanimisme rare qui contraste avec la méfiance souvent mise en avant vis-à-vis des médias. D’autant que ce point de vue très positif n’est conditionné ni par l’âge, ni par le milieu social, ni par le lieu de vie : jeunes ou vieux, de milieux aisés ou populaires, vivant à Paris, dans des petites villes ou en zone rurale, les Français s’accordent donc sur l’utilité du journalisme.

Mais de quelle « utilité » parle-t-on ? En réalité, plusieurs sont évoquées :

-Le premier aspect est lié au pluralisme et aux libertés : le journalisme est utile pour la démocratie et la liberté d’expression (84 %), dont il est l’un des garants.

-Le second aspect est lié à l’accès à la culture et l’information : le journalisme permet d’apprendre des choses, instruire, cultiver (83 %) notamment pour « comprendre les enjeux internationaux » (86 %).

-Enfin, le troisième aspect particulièrement évoqué est lié à l’investigation (83 %) et la vérification des informations ou des rumeurs (67 %).

Liberté d’expression et pluralisme, décryptage, vérification et investigation… Ces représentations concernant « les utilités » du journalisme se retrouvent parmi les priorités affichées par le grand public concernant les informations et les types de journalisme et de médias qu’ils souhaiteraient pour l’avenir.

  • Vers un journalisme de vérification de plus en plus indispensable face à la prolifération des « fake news », rumeurs et désinformations

C’est la première des priorités vis-à-vis du journalisme et des médias exprimée dans notre enquête : « vérifier les informations fausses, les rumeurs, la désinformation », une attente citée par 61 % des personnes interrogées.

Ce besoin exprimé de vérification de l’information trouve sa source dans un paradoxe apparent, lié aux nouveaux usages associés à internet et aux réseaux sociaux. Ainsi, lorsqu’ils cherchent une information liée à l’actualité, 38 % des Français font le plus souvent une recherche sur un moteur de recherche et regardent les articles proposés, « quels que soient les médias qui les publient » : à l’inverse seuls 26 % regardent directement le site d’un média de confiance.

Et ces nouveaux usages sont plus courants chez les 18-24 ans : la moitié (49 %) d’entre eux déclare faire une recherche sur un moteur de recherche (et 8 % directement sur un réseau social) lorsqu’ils cherchent une information sur l’actualité, contre seulement 18 % qui consultent le site d’un média de confiance.

Pourtant, dans le même temps 71 % des personnes interrogées pensent qu’il est de plus en plus difficile de distinguer le site d’un média sérieux d’un site relayant des informations non vérifiées. Et 74 % déclarent faire davantage confiance aux informations qu’ils trouvent par eux-mêmes dans les médias plutôt qu’une information relayée, notamment sur les réseaux sociaux.

Dès lors, si de nouveaux usages médiatiques exposent le grand public – et les jeunes en particulier – aux « fake news », ceux-ci apparaissent également très conscients de ces menaces, comme de l’importance des sources d’informations.

Dans ce contexte, le premier rôle assigné au journalisme et aux médias d’aujourd’hui est justement de servir de « garde-fous » : 74 % des personnes interrogées pensent qu’« on a de plus en plus besoin des journalistes pour produire une information crédible face aux rumeurs et à la désinformation ».

Les médias ne seraient toutefois pas seuls dans ce combat : 83 % des Français sont également favorables pour intégrer « l’éducation à l’information » dans les programmes scolaires, les bibliothèques ou les médiathèques pour enseigner aux jeunes comment différencier les différents types d’informations en ligne.

En revanche, le principe d’une loi visant à lutter contre les « fake news » en période électorale est moins populaire : si 70 % des Français pensent qu’« il est normal que les pouvoirs publics souhaitent empêcher les fakes news », ils sont également 67 % à penser que « les pouvoirs publics n’ont pas les moyens de dire si une information est une fake news » et pour 49 % une telle loi comporte un risque pour la liberté de la presse et la liberté d’expression.

  • Vers un journalisme de décryptage dans une société ayant davantage accès à l’information mais sans avoir pour autant les clés de compréhension nécessaires

Une information permettant de mieux comprendre l’actualité du moment (79 %) plutôt qu’une information inédite ou un scoop (14 % seulement), et même une information « qui vous aide à comprendre le monde et la société » (69 %) préférée à une information de proximité, utile pour soi et ses proches (24 %) : les priorités des Français en matière d’« information utile » font honneur au décryptage de l’actualité, à l’analyse et la pédagogie.

Une attente – et une tendance – qui devrait aller en s’accentuant, puisque 48 % des personnes interrogées souhaitent qu’à l’avenir les médias « accordent davantage d’importance au fond et à l’analyse ».

  • Vers un journalisme d’investigation « lanceur d’alertes »

C’est la troisième tendance de fond, si l’on en croit les attentes du grand public vis-à-vis des médias : qu’ils « révèlent des faits ou des pratiques illégales ou choquantes » (48 %), et pour demain qu’ils « dénoncent davantage les problèmes existants dans la société et dans le monde » (52 %).

Enfin, une très large majorité des Français déclare préférer une information qui dénonce les problèmes et alerte (74 %) plutôt qu’une information rassurante ou positive (13 %). Au-delà du seul travail d’investigation ou d’enquête, c’est donc la capacité des médias à alerter sur des enjeux jugés essentiels pour la société, la démocratie ou les droits de l’Homme. Un enjeu éthique en d’autres termes.

Pour autant, ce journalisme « lanceur d’alertes » souhaité pour demain n’est pas pour autant engagé et partisan : au contraire, les logiques d’indépendance voire de neutralité sont très largement attendues, avec 73 % des personnes interrogées qui préfèrent « une information neutre, non partisane » à « une information engagée, défendant un point de vue » (19 %).

Vérification, décryptage et investigation objective : à certains égards, les attentes des Français vis-à-vis des médias de demain peuvent être perçus – à la faveur de tendances nouvelles – comme un certain retour aux sources du journalisme.

Une étude à retrouver ici

Aurélien Preud’homme
Directeur d’études, Viavoice

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